Chronique
Gucci, au delà du vêtement à Milan.
Publié le par Paul Carluy
Chez Gucci, la mode au delà du vêtement
Fashion week rimerait forcément avec défilé ? Que nenni ! Gucci sort des sentiers battus et propose une expérience autour d’une de ses icônes, le Horsebit, bousculant ainsi la séculaire coutume couture, le second rang auquel les défilés homme sont souvent relégués.
Fashion week homme de Milan 2023, la marque florentine ouvre une exposition éphémère du 17 au 18 juin au Spazio Maiocchi, célébrant ainsi les soixante-dix bougies de son iconique boucle mors de cheval.
Dix artistes pour un héritage
Alessio Ascari, curateur du Spazio Maiocchi et de l’évènement, a invité dix artistes à concevoir des pièces autour du mors.
On a ainsi pu voir sur tout un pan de mur la photo artificielle de Charlie Engman, accrochées sur un autre les images encadrées de Blatant Space, en papier peint all-over le patchwork de Ed Davis, allongés sur d’énormes coussins un film de Bolade Banjo et en replay la performance de Candela Capitan.
Les cinq autres "artistes" : Sylvie Fleury nous présente son installation Bedroom Ensemble II de 1998, Gyuhan Lee ses "minimalist lighting sculptures", le "sculptural furniture artist" Pitter Patter et sa "30-foot dining table", Anna Franceschini avec son "cabinet of curiosities" et Harry Nuriev avec son "conceptual space".
L’éclectique ainsi que cohérente sélection de pièces investit la générosité du lieu, bulle feutrée dans laquelle l’esthétique ne doit rien au hasard. Si le mot artiste est mis entre guillemets plus haut, ce n’est aucunement pour minimiser leur démarche artistique mais pour mettre l’emphase sur un autre point : l’enveloppe plastique de leur pratique.
Design de pointe pour une icône
Alessio Ascari n’a certainement pas été choisi au hasard pour mener à bien la curation de cet événement.
Le monsieur est connu des services, il est le Fondateur et Directeur Créatif des magazines Kaléidoscope et Capsule. Capsule, selon la bio Insta "International Review of Radical Design & Desire Theory", qui organisait durant la Design Week milanaise un pop-up… au Spazio Maiocchi. Le placement est subtil et lisible, Gucci se lie ici d’une curation de plasticien ou, osons le dire, de designer contemporain.
Ce que l’on retient avant tout de l’événement, c’est son esthétique. Dans les faits, les "minimalist lighting sculptures" de Gyuhan Lee sont des lampes hanji imprimées Gucci, la sculpture de Pitter Patter est une table ornée de mocassins et le "conceptual space" de Harry Nuriev est un ensemble de tables basses et fauteuils argentés. Tandis que les nombreuses itérations du terme "artist" servent le crédit culturel de la marque, le résultat effectif de l’ensemble dynamise et ancre la marque dans une démarche et esthétique contemporaine. L’image du Horsebit né il y a soixante-dix ans n’a jamais été si fraîche.
En effet, si l’on omet le déterminent rôle de Sylvie Fleury dans l’histoire de l’art contemporain, son Bedroom Ensemble II tout de fourrure colorée se montre extrêmement instagramable. Postée sur les réseaux, une artiste de la récupération récupérée par ceux qu’elle récupérait : Gucci sait aussi se montrer meta au delà de Roblox et Fortnite… Un placement niche délicat et une image de marque millimétrée pour une firme aux 10,5 milliards d’euros de chiffre d’affaire en 2022.
Gucci donne encore le la
En parlant d’Instagram, la stratégie communication est limpide. On décompte d’abord quatre postes d’annonce vidéos entre le 14 et le 16 juin. Viennent ensuite sept posts carrousel de présentation du 17 au 19 juin comprenant en tout trente-et-une photos et treize vidéos.
Parmi ces carrousels, un seul comprend six photos à proprement parler de vêtements et accessoires de la collection homme été 2024 - seul poste de surcroît avec le hashtag #GucciSS24. Tous les autres dix postes sont cependant affublés du #MFW. Le ratio de photos de vêtements commercialisables est donc faible pour une nouvelle collection en pleine fashion week.
Aucune photo de silhouette humaine donc pour cette collection signée par l’équipe interne. En absence de Directeur Artistique, l’accent cette saison a été porté sur l’image pointue et très contemporaine que la marque veut véhiculer au delà du médium vestimentaire. Le prétexte anniversaire sert ici de rendez-vous en pleine semaine de la mode pour donner une image de niche. Alors que tout le monde s’attend à un nouveau défilé chronométré méga show grandiose (on se souvient du défilé de jumeaux en septembre passé ou de celui de janvier autour du concert de Marc Ribot’s Ceramic Dog), Gucci pose sa cadence, son cadre et nous présente ici un espace, une pause dans la frénésie de la fashion week.
Et c’est ici toute la force du projet. À la joute réthorique revient le trophée à celui qui sait imposer son rythme. Tout le monde se tourne aujourd’hui vers les défilés aux allures de mi-temps de Super Bowl. Le luxe c’est peut-être aussi de créer des connections subtiles entre un vaisseau mère Kering et une artiste contemporaine Suissesse le temps d’un week-end. Alors que la mode est au défilé évènement engendrant viralité et free advertising où, comble pour un défilé de mode, il n’est presque plus question de vêtement. Gucci nous dit ici que, certes, il n’est pas non plus question de vêtement, mais qu’il s’agit peut-être bien d’une érudite sensibilité qui n’est en fait que l’autre côté de la même pièce, celle de la mode.
#MFW n’est pas synonyme de dispendieux défilé. La semaine de la mode est un rendez-vous de passionnés et Gucci nous met ici au diapason. En sous texte : imposer son rythme en tout simplement prenant son temps et étendre son univers, sa vision au delà du médium textile.
Ou peut-être que… Anniversaire idoine pour une marque en manque de Directeur Artistique ?