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« Il faut en moyenne 2000 heures pour créer un bijou d'exception dans les Ateliers de Haute Joaillerie de la Maison Cartier » Alexa Abitbol, Cartier
Publié le par Barbara Haddad
La Maison Cartier nous a fait l’honneur de recevoir le Journal du Luxe au sein de ses Ateliers de Haute Joaillerie. Au programme : rencontre avec des artisans hors-pair et échange avec Alexa Abitbol, directrice des Ateliers de Haute-Joaillerie.
Situés en plein de cœur de Paris, les Ateliers de Haute Joaillerie de la Maison Cartier existent depuis la création de la Maison en 1847. Ils déménagement en 2016 dans le 9e arrondissement, quartier historique de la joaillerie, et sont aujourd'hui les plus importants au monde. Chaque jour, ils sont le théâtre du travail d’artisans au savoir-faire rare, qui s’acquiert avec patience après des années à réaliser, chaque jour, les mêmes gestes minutieux.
Rencontre avec Alexa Abitbol, directrice des Ateliers de Haute-Joaillerie.
Journal du Luxe
Quel est votre parcours ?
Alexa Abitbol
Après 7 ans passés en supply-chain chez Valéo, j’ai eu l’opportunité d’intégrer Cartier en 2012, une Maison pour qui j’avais une profonde admiration depuis l’enfance, en tant que responsable de la planification. Je décide ensuite rapidement de passer un CAP Arts et Techniques de la bijouterie- joaillerie pour prendre la responsabilité logistique des ateliers traditionnels. Une fonction que j’ai exercé jusqu’en 2016 pour prendre ensuite la direction d’une unité de production pendant deux ans et devenir, en 2018, Directrice des Ateliers de Haute Joaillerie.
Journal du Luxe
Quelles sont vos missions au quotidien ?
Alexa Abitbol
J’ai aujourd’hui la responsabilité de 230 personnes, artisans et équipes administratives qui assurent au quotidien la production de pièces uniques (ou à très faible reproduction) signées Cartier. J’encadre également des métiers connexes à la joaillerie traditionnelle, comme la fonte ou encore les ateliers de lapidaires et de haute horlogerie.
Journal du Luxe
Quels sont les bijoux créés dans les Ateliers de Haute Joaillerie ?
Alexa Abitbol
Ce sont, pour la plupart, des pièces uniques présentées une fois par an lors d’un évènement internationaux de Haute Joaillerie. Les pièces sont également présentées dans 2 à 3 évènements régionaux. Enfin, il y a aussi des commandes sur-mesure et enfin, des pièces produites en très faible quantité (10 à 15 exemplaires).
Journal du Luxe
Combien de temps faut-il pour réaliser l'une de ces pièces uniques ?
Alexa Abitbol
Il faut en moyenne trois ans (2000 heures). Chaque artisan travaille donc sur une temporalité longue, où chaque élément du bijou est retravaillé et ajusté plusieurs fois pour trouver les bons compromis entre l’idée et la création… jusqu’à la reconstitution finale.
Journal du Luxe
En quoi chaque bijou est-il le fruit d’un savoir-faire artisanal collaboratif ?
Alexa Abitbol
Le concept du bijou est d’abord dessiné et validé au niveau du studio de création. Des artisans sont ensuite désignés pour travailler les différentes étapes de réalisation comme la constitution du modèle en plastiline pour valider l’expression par exemple du visage d’un animal, la mise en pierres etc.
Journal du Luxe
On est donc dans l’éloge du temps long et de la patience ?
Alexa Abitbol
En effet, d’abord parce que cette temporalité longue de réalisation induit qu’un artisan travaillera en moyenne sur 40 ans sur une dizaine ou une quinzaine de pièces… Ensuite parce qu’il s’agit au quotidien d'un travail manuel de haute précision, avec des gestes minutieux et répétitifs. Le travail de joaillier par exemple nécessite cette approche manuelle pour poser les pierres de façon aléatoire.
Journal du Luxe
Quels sont les métiers présents au sein des Ateliers de Haute-Joaillerie ?
Alexa Abitbol
On peut citer le designer, qui imagine la pièce et le sculpteur qui la modèle dans dans la matière jusqu’à en percevoir l’intention esthétique. Il y aussi le fondeur qui va transformer la cire, le joaillier ou encore le lapidaire qui taille les pierres de couleur, le sertisseur et le polisseur. Il y a aussi des métiers hyperspécialisés que l’on mobilise en fonction des pièces réalisées comme l’enfileur de perles, l'émailleur ou encore le glypticien.
Journal du Luxe
La transmission des savoir-faire, un enjeu pour vous ?
Alexa Abitbol
En effet, certains métiers sont en train de se perdre comme ceux de polisseur, de lapidaire ou encore de glypticien, qui pratique la sculpture sur des pierres précieuses. Il y a donc un véritable enjeu à préserver ces savoir-faire et à encourager leur transmission au sein de la Maison Cartier. Une transmission qui se fait majoritairement à l’oral et dans la démonstration au quotidien.
Journal du Luxe
Quelles actions menez-vous donc sur le volet formation ?
Alexa Abitbol
Nous avons fêté cette année les 20 ans de l’Institut Cartier, qui a pour mission de répondre à un besoin de formation en interne afin de soutenir le développement professionnel de nos artisans, tout en leur permettant d’élargir le champ de leurs compétences en découvrant d’autres métiers. Ce sont plus de 200 collaborateurs qui sont formés chaque année au sein de l’institut. Plus récemment, nous avons inauguré un nouveau site de production "Regio Parco" à Turin accueillant une école interne de joaillerie "Officina dei talenti" destinée à former les artisans qui vont intégrer par la suite les rangs de la manufacture.
La Maison tisse par ailleurs des partenariats très fort avec les écoles du métier comme la Haute École de Joaillerie (HEJ) et l’école Boulle. D’autres institutions comme l’Institut de bijouterie de Saumur ou le Lycée Edgar Faure de Morteau ou encore le lycée des métiers Jean Guéhenno à Saint-Amand-Montrond, font également partie de nos partenaires engagés dans la transmission de ces savoir-faire.
Journal du Luxe
Comment vous rapprochez-vous des jeunes pour créer de nouvelles vocations ?
Alexa Abitbol
La Maison participe enfin à de nombreuses initiatives comme récemment l’événement "Les De(ux)mains du Luxe" organisé par le Comité Colbert à Paris pour faire découvrir à un jeune public (entre 12 et 18 ans) la beauté et la diversité de nos métiers et faire naître des vocations. Une édition 2023 qui a d’ailleurs été un franc succès : 7,1 k visiteurs sur les 4 jours de l’évènement (+ 65% Vs. 2022) et 30 Maisons participantes (23 en 2022). La participation de Cartier s’y est notamment traduire par l’initiation à 4 métiers principaux de la joaillerie (joaillerie, sertissage, lapidaire, polissage), la proposition d’une vitrine pédagogique présentant toutes les étapes de fabrication d’une pièce ou encore l'organisation de deux ateliers pour présenter les opportunités de formations et de carrières au sein de la Maison.
Journal du Luxe
Enfin, quelles sont vos attentes lors de l’étude d’une candidature ?
Alexa Abitbol
Au-delà du CV ou de la lettre de motivation, c’est avant tout l’entretien qui va nous permettre de déterminer la personnalité des candidats et de cerner leur capacité à s’adapter à notre culture d’entreprise et à nos exigences. Un book regroupant quelques photos des techniques maîtrisées permet souvent de conforter le chef d’atelier dans le choix du candidat.