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Chronique

Cartier : entretenir le mystère au temps de la transparence.

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Cartier a ouvert les portes de sa nouvelle exposition Time Unlimited aux États-Unis, à Miami, au Design District. Une exposition qui, dans le titre, même promet une expérience immersive dans un espace où la notion de temps se perd pour s’affranchir des limites de sa définition et nous permettre ainsi d’explorer l’étendue, infinie, de ses potentialités. Une exposition qui se veut mettre en lumière l’excellence du savoir-faire horloger de la Maison.

Depuis quelques années, la tendance est à la transparence. Les maisons de luxe ouvrent la porte de leurs coulissespour démystifier un univers qui était jusque là inaccessible au grand public. La thématique choisie par Cartier, consistant à nous faire découvrir les rouages de ses métiers d’excellence, n’a donc rien de nouveau. Si ce n’est que la marque détourne le concept d’exposition pour en changer la mécanique. Elle n’est pas là pour nous apporter des réponses mais plutôt pour nous donner envie, surprenamment, de ne pas les connaître.

Dès l’entrée, elle nous questionne. Sur la façade extérieure, on reconnaît la forme hors-normes de son iconique montre Crash dont les contours sont tracés par les lettres de "Time Unlimited". Pourtant, l’exposition n’est pas consacrée à cette seule pièce horlogère. C’est donc un choix et non un hasard esthétique. Sa montre à la forme hypnotique associée ici à un concept mystique n’est pas sans rappeler le tableau surréaliste de Dali : La Persistance de la mémoire, dans lequel des montres aux courbes fondues, donnent l’impression d’un temps qui se dilate, prenant alors une toute nouvelle dimension. Il semble donc que nous nous apprêtons à entrer dans un espace dans lequel les montres Cartier sont détournées de leur fonction initiale : elles ne donnent plus l’heure, elles la réinventent.

© Courtesy Cartier

Réinventer la notion du temps. S’il ne fallait choisir qu’une installation pour incarner cette ambition, nous choisirions celle de la première pièce. Sur le sol, la montre Crash. À ses contours s’ajoutent cette fois des panneaux verticaux en miroir qui viennent fragmenter sa forme, fragmenter l’espace, fragmenter allégoriquement le temps comme aime à le faire la marque. La sensation de perdition engendrée par les miroirs qui créent un effet d’infini, nous conduit à perdre de vue ce que nous étions venu chercher initialement en nous rendant à cette exposition au Design District. Nous avons perdu les questions dont nous étions venus chercher les réponses, et cette perdition n’est que le début de notre traversée.

Il faut passer dans un tunnel digital pour rejoindre les autres pièces. Nous pensons alors que l’exposition commence à cet instant et que la première salle n’était qu’une introduction immersive. Nous découvrons ici les images des montres Cartier défiler, les mains virtuoses agiles, un contenu informatif s’animer au-dessus de nos têtes. Cartier joue le jeu de la didactique et de la transparence à laquelle nous aspirions en nous rendant à son exposition. Mais tout ne se révèle pas au bout du tunnel contrairement à ce que veut la croyance universelle. Car la créativité de la Maison s’affranchit dans l’infini, c’est ce qui fait tout son mystère. Le mystère pour essence, le mystère qui fascine. Et avons-nous réellement envie qu’on nous le révèle ? Souhaitons-nous vraiment prendre le risque de perdre toute la magie qui se cache derrière son processus de création ?
Avec brio, Cartier nous pousse à nous remettre en question et à redéfinir nos attentes.
Et si ce qui importait plutôt était le rêve ? Cet espace où l’imagination ne connaît aucune limite ? Car finalement nous faire rêver est le fondement même des maisons de luxe. Et le rêve aujourd’hui semble s’évanouir dans la transparence. Peut-être est-il temps de retrouver cet onirisme des origines…

Pour le retrouver, Cartier fait accélérer le temps dans son exposition. Dans l’une des salles, une montre est projetée sur un grand présentoir, et la vitesse de ses aiguilles transforme les heures en minutes et les minutes en secondes. Devant nos yeux et ceux de Louis Cartier dont le portrait apparaît sur un grand écran face à nous. Ce dernier a su accélérer le temps par la modernité de ses créations pour l’époque. Le savoir-faire de Cartier repose sur un héritage artisanal qui s’est affranchit des règles comme ici où le temps ne suit plus les lois de la physique. C’est en s’élevant au-dessus des règles que les horizons créatifs deviennent illimités. C’est le mot que souhaite nous faire passer la marque en cette fin année. En témoigne sa campagne de Noël dans laquelle on aperçoit la Maison Cartier s’envoler vers le ciel, telle une montgolfière. Idée que l’on retrouve en une montgolfière véritable qui s’élève aux côtés de Louis Cartier sur le grand écran. Le temps dans l’exposition se ferait alors allégorie de la créativité horlogère de la marque. Une créativité illimitée qui conserve une part d’énigme.

Pour Cartier, s’élever est la condition sine qua non pour multiplier les horizons créatifs à explorer. Pour ce faire, la marque illustre son concept en nous faisant passer d’une des pièces de l’exposition dans laquelle nous sommes sous le cadran azuréen d’une montre (le ciel symbolise l’infini dans l’art) à cette pièce où le grand écran nous place au-dessus du ciel par ce qu’il projette. La marque nous invite à prendre de la hauteur.

© Courtesy Cartier

Pour Cartier, le temps est un concept qui renferme des secrets qui seront toujours à élucider, à l’image du savoir-faire de la Maison. Son exposition n’a pas pour volonté d’en percer les secrets mais de nous montrer que son savoir-faire s’entretient dans le mystère, et que c’est là toute sa richesse. Cartier va à rebours de la tendance qui est à la transparence en nous montrant au contraire que la beauté de sa haute-joaillerie réside dans ses secrets irrévélés.

Nous pensons vouloir décrypter les rouages des maisons de luxe mais ne devons-nous pas plutôt nous élever au-dessus de nos attentes et comprendre que la magie opère seulement si le magicien ne révèle pas ses tours ? Ne préfèrerions-nous pas continuer à rêver ? Dans un temps où les marques de luxe dévoilent leurs secrets, Cartier ramène le mystère sur le devant de la scène, revenant ainsi à ce qui est à l’origine de la pérennité des marques de luxe : la magie de leur ésotérisme.

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