Langage digital, mille et une occasions de contact avec le client.
Publié le par Journal du Luxe
À l’occasion de l’étude « Le quotient d’attractivité de l’expérience client », Jeanne Bordeau, linguiste, auteure et fondatrice de Madame Langage, décrypte en exclusivité pour le Club des Chroniqueurs, la façon dont le langage digital permet de créer une nouvelle relation avec le public.
Le langage pour se rapprocher de ses clients.
On le sait, les marques de luxe ont toujours raconté leur histoire et trempé leurs plumes dans leurs mémoires. Chopard a créé pour le tsar Nicolas II. Boucheron raconte même ses « 26 premières fois » et mêle de façon dynamique et astucieuse son histoire passée et présente. De la médaille d’or de l’exposition universelle de 1867, à la création d’une collection de bagues en 2018 effectuée grâce à une technologie innovante de numérisation. Boucheron sait faire rêver et réussit à vendre avec élégance.
Une nouvelle révolution est en cours. Le dernier livre d’Éric Briones, Luxe&Résilience, en analyse les mécanismes avec brio et dit bien où se posent nos blessures face à une époque aussi dure, et la résilience dont il faut faire preuve. Éric Briones décrit la façon dont nous demandons à la beauté et au luxe de nous « réparer » tout en voulant toujours continuer d’anticiper, d’offrir de l’inventivité et de la beauté.
Plus que jamais, grâce à l’expression digitale, les marques – notre étude* de mai 2021 le démontre – démultiplient leurs occasions d’accueil et de contacts avec leurs clients. Ainsi, le « virtual store » de Burberry laisse le client se promener virtuellement, et c’est sur Twitch que la marque organise son défilé. La « Patou conciergerie » offre des rendez-vous privés pour faire ses achats dans une langue créative et détendue : « Patougether », « c’est Patou much », « Patou comme une promesse », « un beau chapitre… écrivons le avec la marque, c’est cela ? ». Mais en cette longue époque de virus, le besoin de proximité et le souhait profond d’authenticité requis par le client font naître de nouvelles marques qui ébranlent plus profondément les liens élégants et un peu formels du luxe avec ses consommateurs, grâce aux forces du digital.
Clients et marques : une relation nouvelle.
Les relations et les échanges des marques de luxe avec leurs clients sont complètement repensés. Ainsi la marque suisse d’horlogerie CODE41 est née du nom choisi par sa communauté. CODE41 est dans l’obsession iconoclaste d’une totale transparence sur les origines des composants de ses montres et leur fabrication. La marque crée son propre label : le « TTO, Total Transparency of Origin ». Cette jeune marque communautaire rebelle respire avec ses clients. Vous êtes créateur du projet et bénéficiez d’un prix de lancement bien inférieur au prix de la série.
Le consommateur fait partie de l’histoire. Il est interrogé dans une langue orale détendue et simple sur ses préférences : « plus que quelques pièces en NB 24 …quelle est votre préférée ? ». TTO oblige, les prix des composants de la montre et les marges sont annoncés. « Haute qualité », « orchestration internationale », CODE41 a été surnommé « l’enfant terrible de l’horlogerie suisse ». À savoir, en informatique le « code 41 » est une erreur de système. Un modèle de montre se nomme même « Anomaly » ! Et CODE41 va plus loin. 100% en ligne, la marque cherche à provoquer de vraies rencontres et nous aide à localiser le propriétaire d’une montre pour pouvoir l’essayer.
La puissance du digital.
Voilà tout ce que le digital ouvre comme possibilités et merveilleux inattendus ! De même, Jenny Sacerdote La Suite, marque de haute couture, reprend les façons de créer et d’être de Jeanne Adèle Bernard, qui a lancé sa maison, Jenny Sacerdote, en 1909. Elle écrit avec ses clientes un nouvel épisode. La marque puise dans son histoire pour se nourrir et place la femme dans la société pour conter le mouvement de libération de la femme avec délicatesse, à petites touches, et nous rappelle que le vêtement peut être émancipateur. Pour Jenny Sacerdote La Suite, les femmes sont des héroïnes qui ne mentent pas sur ce qu’elles sont. La danse, synonyme de liberté, est la métaphore filée de la marque « #femmejenniale ». La « Jennius-zone » est consacrée à la cliente qui compose selon ses envies et ses besoins et crée sa robe en cherchant dans la bibliothèque de formes parmi 1000 modèles et la matière dans la tissuthèque.
Liberté de mouvement, liberté de pensée. Les robes sont décrites avec poésie. Des mots inventés disent tout de la force créative de la marque. Ainsi, le « suity » est un fichu, aussi ceinture de soie. La soie est la signature de la maison : « satin de soie, fibres de soie naturelle, matière douce au toucher, hypoallergénique et thermorégulatrice ». On le croit, la soie regorge de « qualités nutritives et antioxydantes », nous glisse la marque. Dans une époque sociétalement responsable, la nourriture soigne avant d’être un plaisir. Bientôt, il en ira de même pour le luxe : protéger, réparer, prendre soin du client précédera le plaisir de bouger et d’acheter beau.
Que dit notre étude* ? Que le digital et la technologie offrent une liberté d’imaginer qui génère une façon nouvelle de parler et de penser. Une langue orale charmeuse et naturelle vient de plus en plus nous chercher virtuellement et sûrement. Les échanges avec les clients prolongent le récit de la marque. Tous les messages se relient et fondent un univers cohérent.
Premier élément de persuasion.
La RSE est un sujet majeur et, comme l’écrit Jon Lipfeld dans Luxe&Résilience, l’hybridation technologique la prend en charge. Mais elle aide en même temps à célébrer tous les autres temps de langage des marques de luxe. Son-texte-image viennent enchanter les prises de parole des marques dans leur ensemble par des applis, des jeux vidéo qui habillent des avatars, des rencontres, des boutiques ou salons virtuels, des « défilés qui n’en sont pas », des conseils personnalisés en ligne.
En dépit de tout cela, ce qui sera toujours l’instrument premier de conviction et de persuasion, c’est le langage. Quels que soient les outils déployés, il donne forme à la pensée et aide à décrire et définir les offres. Si même les images prolongent les mots et donnent forme à l’imaginaire, c’est avec la précision d’une langue que l’on raconte la création que l’on préfère.
L’opinion que l’on aura d’une marque de luxe sera donc liée à la force de sa créativité et à sa distinction. Et elle est ensuite reliée à des hashtags justes, à un slogan, tout autant qu’au plus joli modèle que l’on a toujours en tête et au cœur, et qui nous fait rêver. Parce que justement, si l’on est charmé par une marque, on aura envie d’en parler.
Alors aux marques de faire les justes choix de langage, d’expressions, de punchlines, d’hashtags. Être chaleureux sans être familier. Être détendu et naturel en restant élégant sans être crispé. Être capable de donner des preuves sur la responsabilité de la marque sans être pesant et austère. Être en discours constant tout en étant cohérent. Garder longuement l’intérêt de l’internaute et distraire. Ce sont tous les défis de langage que pointe notre étude* ! Le digital a désankylosé et désamidonné le langage. Dans le luxe, il reste élégant, enjoué, créatif. Tant mieux. Il perd un côté empesé qui faisait confondre élégance avec formalisme, qui empêchait naturel et vérité de la relation.
Avec sa « télé Patou » et son chat, Patou nous balade de façon féline dans ses ateliers. On a la sensation d’être un peu dans de l’interdit. La maison clame être « une start-up au passé centenaire » et prend le client par la main grâce aux occasions que le digital autorise à créer.
Dans ce combat digital mondial, quelles sont les marques gagnantes ?
Les marques classiques qui jouent sur les deux damiers ? Comme Chopard qui reste classique et sait être digital ? En effet, Chopard cultive un esprit de famille, possède toujours des « boutiques chaleureusement aménagées comme une véritable maison de famille », fait « voyager ses clients vers un luxe durable » et utilise le vocabulaire flamboyant du luxe.
La marque offre un « magical setting » avec des « anges artisans », invite à des courses automobiles élégantes comme le Mille Miglia de Brescia à Rome, et sait aussi être partenaire du festival de Cannes. Mais dans son autre damier, Chopard n’hésite pas à converser grâce aux réseaux sociaux, à nous faire lire une newsletter et créer des applis personnalisées.
À l’heure d’un virus durable qui impose la distanciation, les marques gagnantes seront-elles celles qui, majoritairement, ont élu le virtuel ? Après tout, le digital n’est-il pas un merveilleux instrument pour magnifier le rêve ? Et enfin, le digital possède un atout de plus : c’est qu’il sait ravir les jeunes publics que les marques de luxe convoitent tant.
*Étude de Madame Langage « Le quotient d’attractivité de l’expérience client », présentée le 20 mai 2021.