Exclusif

« On assiste à un retour vers le goût du "faire" à une époque où tout devient de plus en plus digital » Chantal Gaemperle, LVMH.

Publié le par

En 2014, Chantal Gaemperle, Directrice Ressources Humaines & Synergies du groupe LVMH, donnait le coup d’envoi de l'Institut des Métiers d'Excellence, un écosystème inédit au service de l’apprentissage des savoir-faire du luxe. Dix ans plus tard, le projet s’est considérablement étoffé, tant géographiquement que structurellement, au gré des évolutions économiques, technologiques et sociétales. Entretien.

Journal du Luxe

Dix ans après le lancement des Métiers d’Excellence, que représente ce programme en termes d’effectifs en France et à travers le monde ? 

Chantal Gaemperle

Le bilan est très satisfaisant. La première promotion comptait 27 apprentis à Paris dans trois métiers – joaillerie, couture, maroquinerie. Nous n’avons cessé, depuis, d’accélérer et d’intensifier le développement. Cette année, l’Institut accueillera 500 nouveaux apprentis dans huit pays et son programme compte aujourd’hui plus de 70 formations. Au total, plus de 3300 apprentis ont été formés en dix ans. Et nous avons atteint les objectifs que nous nous étions fixés de pérenniser nos savoir-faire, revaloriser des métiers peu connus par la voie de l’apprentissage, susciter des vocations et témoigner de pratiques inclusives en recrutant des profils a priori éloignés de notre univers. 

SHOW ME, l'évènement anniversaire des 10 ans des Métiers d'Excellence LVMH, le 10 octobre dernier.
©BOBY

Journal du Luxe

 Belmond, Rimowa, Tiffany & Co… En dix ans, le Groupe LVMH s’est élargi au travers d’acquisitions et de prises de participation successives. Dans quelle mesure cette dynamique a-t-elle contribué à remodeler la cartographie des Métiers d’Excellence ? 

Chantal Gaemperle

Chaque fois qu’une nouvelle Maison rejoint le groupe, c’est une occasion d’élargir encore le champ de nos savoir-faire. Tiffany & Co avec son expertise historique en joaillerie à New York, ou Rimowa et son savoir-faire unique dans la fabrication de bagages en aluminium à Cologne, constituent des ajouts précieux pour nous. Avec plus de 180 ateliers à travers le monde, chaque acquisition renforce notre leadership, mais aussi notre capacité à innover. Personnellement, ce que je trouve passionnant, c’est de voir comment nos métiers traditionnels se réinventent autour de ces nouveaux savoir-faire. Et à travers l’Institut des Métiers d’Excellence, nous formons la nouvelle génération, non seulement pour préserver ces métiers, mais aussi pour les faire évoluer, tout en soutenant l’emploi dans les régions où nous sommes présents. C’est un véritable engagement qui me tient à cœur. 

Journal du Luxe

Lors de la crise du Covid en 2020-2021, on a beaucoup évoqué la "quête de sens". Avez-vous observé, depuis, un changement dans la typologie des profils désireux de rejoindre le programme ? 

Chantal Gaemperle

Après la crise du Covid, nous avons ressenti en effet un changement dans les profils qui rejoignent l’Institut. Davantage de personnes en reconversion, qui cherchaient à se reconnecter avec quelque chose de plus tangible, plus manuel, porteur de sens, se sont intéressées à ces métiers. Aujourd’hui, nos promotions vont de 16 à 51 ans, ce qui montre bien cette diversité. C’est intéressant de voir ce retour vers le goût du "faire", à une époque où tout devient de plus en plus digital et immatériel… Et puis, il y a aussi un vrai changement en termes de parité dans nos professions. De plus en plus d’hommes se lancent dans des métiers comme la couture, tandis que des femmes intègrent des secteurs, comme celui de la viticulture. Il y a là un vrai enrichissement pour nos savoir-faire, et c’est aussi ce qui fait notre force aujourd’hui. 

Journal du Luxe

Aussi ancrés dans la tradition soient-ils, les métiers de savoir-faire supposent aussi de nombreux défis en matière d’innovation, tant dans leur nature que dans leur transmission. LVMH est notamment partenaire de RE-SOurce, un projet développé avec l'État français qui vise à sauvegarder numériquement les gestes d’artisans...

Chantal Gaemperle

Ce que j’aime dire, c’est que l’innovation d’aujourd’hui devient la tradition de demain. Dans nos ateliers, nous marions constamment les savoir-faire anciens avec des technologies modernes. Par exemple, en joaillerie, on utilise désormais l’impression 3D en métal, pour compléter des méthodes plus traditionnelles. C’est ce mélange qui stimule la créativité et permet à nos métiers d’évoluer. Pour la transmission, l’innovation est tout aussi essentielle. Nous ne nous privons pas d’explorer des outils comme l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle ou la captation numérique, pour enrichir nos formations. C’est exactement ce que nous faisons avec le projet RE-SOurce, qui vise à créer un véritable conservatoire des gestes et du savoir-faire. Ce projet me passionne, car il garantit que ces savoir-faire se perpétueront tout en s’adaptant aux nouvelles générations. 

Journal du Luxe

Cette année, le programme des Métiers d’Excellence s’est ouvert à la Chine. À l’heure où la consommation du luxe ralentit dans le pays, quels sont les grands enjeux de ce lancement ? 

Chantal Gaemperle

Il est important que nos équipes de vente puissent affiner et renforcer leur connaissance des savoir-faire artisanaux et de l’art de vivre à la française. Nous avons déjà organisé cinq masterclasses pour que nos collaborateurs puissent découvrir ces métiers de l’intérieur, en fabriquant eux-mêmes un porte-carte en cuir par exemple. Ils peuvent ainsi devenir des ambassadeurs encore plus convaincants de nos Maisons auprès de nos clients. Nous avons aussi des artisans locaux qui travaillent dans nos services après-vente, ou qui sont spécialisés dans des domaines, comme la retouche en couture ou la peinture-calligraphie sur malle. Il est essentiel de former de tels talents et de garantir la transmission de ces compétences en Chine. 

Journal du Luxe

L’année dernière, LVMH annonçait l’ouverture à venir d’une Maison des Métiers d’Excellence à Paris. À date, où en est ce projet ? Quelle est sa vocation ? 

Chantal Gaemperle

Nous avançons bien et l’ouverture de la Maison des Métiers d’Excellence est toujours prévue pour début 2026. Nous venons d’ailleurs de révéler que Ramy Fischler sera le designer de ce lieu unique qui sera à la fois ancré dans la tradition et résolument tourné vers l’innovation. Ce sera un endroit où chacun pourra découvrir nos savoir-faire, avec six ateliers où le public pourra s’initier à des gestes artisanaux comme le filetage en maroquinerie. Ce projet me tient à cœur, car il reflète notre ambition de mettre en lumière les nouvelles générations. A cette fin, nous avons lancé un concours de création pour les vitraux du grand escalier, ouvert aux jeunes designers diplômés de l’Institut. C’est une belle manière de relier le passé et l’avenir, à travers l’artisanat. 

Journal du Luxe

À l’aube de 2025, quels conseils partageriez-vous avec celles et ceux qui souhaiteraient rejoindre le Groupe LVMH ?  

Chantal Gaemperle

Le premier conseil, c’est de s’écouter et de se faire confiance. Et surtout, de ne pas hésiter à venir à notre rencontre, lors de la tournée You and ME, qui passera par quatre villes de France durant le premier trimestre 2025. C’est une belle opportunité de découvrir nos métiers et d’échanger avec des experts talents qui partageront leur passion et présenteront concrètement leur quotidien. Ce sont des métiers captivants, mais qui demandent beaucoup d’engagement et d’exigence envers soi-même. Il faut être prêt à investir du temps pour apprendre, parfois plusieurs années, mais c’est un voyage incroyablement enrichissant.  

 

par