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Chine : le bon regard pour éviter la colère des internautes.

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Codes de beauté, écarts interculturels et stéréotypes... Zoom sur le traitement des stéréotypes chinois par les maisons occidentales mais aussi locales.

Controverses en séries.

Fendi, Dior, Lancôme, Mercedes-Benz, 3 squirrels (marque de snacks chinoise très populaire auprès des GenZ), Lion Boy (film d’animation chinois) ont été chacun stigmatisés à des degrés divers, pour avoir dans leurs campagnes relayé et propagé des stéréotypes occidentaux liés aux yeux bridés, ceux qui sont spécifiquement qualifiés en chinois de 吊眼 diao yan ou 眯眯眼 mi mi yan.

Ces yeux font référence à des yeux longs, très effilés, étirés vers le haut, et souvent affublés d’une paupière simple. Ils sont à l’opposé des standards de beauté les plus prisés en Chine.

En effet, si la préférence a longtemps été traditionnellement en faveur des yeux de phoenix (yeux dont l’angle externe remonte vers le haut), elle va aujourd’hui majoritairement en faveur des grands yeux à double paupière.

Aussi, quand les marques prennent le parti de représenter la beauté chinoise au travers de standards qui vont à l’encontre des attentes locales grand public, elles prennent le risque d’être prises à parti, car elles sont perçues comme faisant valoir une vision stéréotypée de l’identité chinoise. Que ce soit par maladresse... ou racisme latent - même inconscient –, cela est dénoncé avec fougue dans un climat patriotique de plus en plus affirmé.

Zoom sur la récente campagne de Lancôme pour idole en Chine.

La campagne s’est orchestrée autour de trois célébrités : Zhou Dong Yu, actrice, Liu Le Xie, rappeuse et Xiao Wen Ju, mannequin. Si l’impact a été immédiat et conséquent avec plus de 230 millions de vues pour le hashtag #I am Idole#, des voix se sont toutefois élevées pour s’offusquer des visuels de Xiao Wen Ju. Le post du bloggeur Heyshisusua, vu 225k fois, rassemble les commentaires les plus typiques comme : "Pourquoi les marques occidentales choisissent toujours des modèles avec des 眯眯眼 mi mi yan… Alors que clairement ce genre d’esthétique n’a pas la faveur du plus grand nombre ?"

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©Fendi

Zoom sur la campagne 2021 de Fendi.

Même lorsque les marques font des efforts visibles pour appréhender la culture chinoise, elles ne sont pas à l’abri des polémiques.

La campagne 2021 de Fendi pour le Nouvel An chinois semblait pourtant être au premier abord un sans-faute. Les symboles les plus caractéristiques de la période figurent dans la vidéo : ambiance rouge et or, sons de pétards, calligraphie, ornements en papier coupé, caractère 福 (fortune) dûment présenté retourné. Les jeunes Chinois saluent d’ailleurs les efforts de la marque. Teresa, étudiante de 21 ans, déclare "c’est nouveau, on ne voyait pas ce type de campagne avant. Je suis impressionnée. Très clairement la marque a fait son travail pour essayer de comprendre la culture chinoise en profondeur".

Cependant les mannequins choisis aux yeux très bridés - 吊眼 diao yan - sont là encore vivement pointés dans les commentaires sur les réseaux sociaux :

"Est-ce que ces stéréotypes d’hommes et femmes aux yeux bridés (吊眼 diao yan) peuvent être changés ? Cette campagne chinoise ne peut avoir été produite en Asie ? Vous pensez vraiment que tous les Chinois sont ainsi? Tout le monde n’est pas comme Lu Yan*, plus maintenant !"

(*Lu Yan : mannequin chinois à succès en Occident, alors que ses yeux bridés 眯眯眼 mi mi yan, teint mat et lèvres pulpeuses vont à l’encontre des standards de beauté courants en Chine.)

"Je déteste ce type de stéréotype. Il y a tellement de Chinois qui voyagent à l’étranger, ils doivent bien savoir à quoi les Chinois ressemblent. Mais ils continuent avec ces stéréotypes, ça me dégoute."

Si Lancôme ou Fendi ont fait l’objet de débats un peu vifs, d’autres comme Mercedes-Benz ou 3 squirrels ont dû gérer des situations bien plus houleuses. Pour Mercedes-Benz, le hashtag : #le maquillage du mannequin de la campagne de Mercedes Benz suscite la controverse# a été vu 260 millions de fois. La marque a vite supprimé sa campagne des réseaux sociaux. Pour 3 squirrels, le hashtag #3 squirrels mannequin# a été vu 420 millions de fois, et déclenché des polémiques en cascade au fil des déclarations, notamment du mannequin. La marque a non seulement retiré sa campagne et s’est de plus excusée.

Décryptage : face à des stéréotypes dits occidentaux, pourquoi des parties chinoises sont-elles aussi mises en cause ?

Si les marques occidentales peuvent être accusées de mal comprendre ou mal maitriser les codes de beauté locaux, pourquoi des marques chinoises comme 3 squirrels, des artistes comme Chen Man pour Dior ou des films d’animation chinois comme Lion Boy (le mieux noté en 2021 sur Douban) sont-elles aussi incriminées ?

Cela peut paraitre contradictoire à l’heure où la jeunesse souffre justement de la pression liée aux diktats de beauté. N’est-ce pas en outre une forme de détestation de soi que de pointer les petits yeux ? N’est-ce pas de l’hystérie collective au nom du patriotisme ?

Des voix s’élèvent bien pour prendre la défense de 3 squirrels et plus particulièrement du mannequin qui déclare avoir toujours eu de petits yeux… et demande à ce que les attaques personnelles cessent et qu’on la laisse exercer son métier :

"Il faudrait agrandir les yeux vers le haut, avoir une double paupière… pour mériter d’être Chinois ? Les petits yeux ont été expulsés de la nationalité chinoise…"

"Je trouve que ses yeux sont normaux, je ne comprends pas ces attaques…"

Mais ce que beaucoup de patriotes dénoncent, c’est la construction et l’utilisation de stéréotypes par les Occidentaux, qui depuis plus de 100 ans servent à stigmatiser, voire insulter les Chinois. Ce ne sont donc pas les yeux bridés en tant que tels, mais les labels associés et charges symboliques qui sont en cause. Sur les réseaux sociaux, une analogie récurrente est faite avec les Noirs longtemps représentés comme des cueilleurs de coton. De la même manière que s’opposer à cette image ne vise pas à ostraciser les cueilleurs de coton, mais à s’élever contre la mise en esclavage. La résistance envers les diao yan ou mi mi yan dans les campagnes ne vise pas ce type d’yeux, mais bien les stéréotypes réducteurs, voire racistes associés.

Enseignements pour les marques.

Pourquoi la vigilance est de rigueur ? Car les critiques ne relèvent pas seulement de désaccords sur des perceptions esthétiques, mais fustigent la distorsion de l’identité chinoise et sa représentation.

Autrement dit, au travers de ces polémiques se joue une volonté de réappropriation identitaire, tant en Chine que sur la scène internationale. C’est la raison pour laquelle les marques doivent être extrêmement vigilantes, pour éviter d’être accusées d’insulter/déshonorer la Chine 辱华.

Vision et recommandations.

Une première réponse serait de recommander aux marques – et plus particulièrement aux marques occidentales – d’éviter de recourir à des mannequins aux yeux de forme 吊眼 diao yan ou 眯眯眼 mi mi yan. Mais ce serait passer à côté du problème de fond, car ce n’est pas la forme de l’œil qui est uniquement et majoritairement en cause, mais bien sa représentation et charges symboliques associées.

Dans un contexte complexe et sensible, les marques doivent donc plus que jamais :

  • Se familiariser avec des codes de beauté locaux en perpétuelle évolution.
  • Apprendre à composer avec leurs représentations et croyances sous-jacentes – notamment au travers des choix de maquillage.

Ainsi, renforcer la ligne supérieure et oblique (comme l’ont fait 3 squirrels ou Mercedes Benz) n’est ni naturel, ni esthétiquement prisé, alors qu’ombrer la partie inférieure est une technique employée localement pour agrandir l’œil, et notamment cette forme d’oeil.

"Les Chinois savent comment maquiller ce type d’oeil… Ils n’adopteraient jamais spontanément ce type de maquillage excessif et très exagéré" dit Erica, étudiante de 21 ans.

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©Mercedes-Benz

Rallier plutôt que diviser, se donner les moyens de respecter et englober la diversité culturelle plutôt que d’aller au plus simple et prendre le risque d’offenser. Tout est dans le regard : savoir voir et être vu, pour être entendu.

Dao Nguyen est fondatrice d’Essenzia, une agence dédiée aux marques de parfum et beauté, en anthropologie du goût et en stratégie créative pour gagner le cœur des jeunes Chinois.

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©Lancôme sur Weibo

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