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« Lorsqu’une expérience client est mémorable, cela multiplie par 5 l’envie d’acheter du client » Christophe Caïs, CEO de CXG
Publié le par Sandra Robichon
Lors de la conférence organisée par CXG le 10 octobre 2024 au prestigieux Peninsula, Christophe Caïs, CEO de l’entreprise, a dévoilé les résultats d'une vaste étude sur les défis du retail de luxe.
Avec des chiffres marquants et des perspectives d’évolution du métier de conseiller de vente, l'événement a mis en lumière l'importance cruciale de ces professionnels dans l'expérience client. Dans cette interview, Christophe Caïs partage sa vision pour réinventer le rôle des conseillers de vente et les solutions à explorer pour attirer et fidéliser ces talents.
Journal du Luxe
Lors de votre conférence, vous avez souligné l'impact majeur des interactions entre les conseillers de vente et les clients. Selon vous, quelles sont les compétences essentielles qu'un conseiller doit avoir aujourd'hui pour réussir dans le retail de luxe ?
Christophe Caïs
Je dirais même que l’impact des sales advisors sur le service client est à la fois essentiel et considérable. Surtout, que ce rôle est souvent sous-estimé et le conseiller est fréquemment le grand oublié de l’équation retail. D’après mes expériences passées – et je pense que beaucoup seraient d’accord – avoir une bonne équipe en place peut jusqu’à doubler les performances. Avant, un conseiller de vente se contentait d’accueillir les clients et de vendre. Aujourd'hui, son champ d'action est bien plus vaste : il doit également s’occuper du clienteling, gérer le CRM, maîtriser l’omnicanalité et s'occuper de la gestion des stocks. En plus de ces compétences techniques, l'intelligence émotionnelle et la capacité à partager sa passion sont désormais indispensables pour garantir un service client exceptionnel et offrir une expérience mémorable aux clients.
Les marques n'ont pas pleinement mesuré l’évolution du rôle et des missions des conseillers de vente, ce qui a mené à un certain désenchantement. Cette montée en compétences doit être accompagnée par un soutien accru de la part des marques, afin de pouvoir leur offrir plus de fluidité et de simplicité dans leur travail.
Journal du Luxe
Votre étude a révélé que 78 % des clients renonceraient à un achat après une seule interaction négative avec un conseiller. Quelles actions concrètes les Maisons de luxe peuvent-elles entreprendre pour réduire ce risque et améliorer constamment la qualité de l'expérience client en boutique ?
Christophe Caïs
Évidemment au premier abord, ce chiffre semble effrayant et la réalité est que les clients veulent se sentir de plus en plus unique, inoubliable, que le droit à l’erreur est moins présent et que leurs attentes doivent être comblées. À l’inverse, lorsqu’une expérience client est mémorable, cela multiplie par 5 l’envie d’acheter du client.
En premier lieu, il faut faire un rappel important c’est que l’enjeu majeur réside dans la répartition budgétaire : aujourd'hui, entre 5 et 10 % du chiffre d'affaires des grandes marques de luxe est consacré au marketing pour générer du trafic en magasin, mais peu de budget est alloué pour garantir que l'expérience client correspond bien à la promesse faite. Il serait donc judicieux de renforcer les investissements dans le recrutement, le coaching, et le développement des équipes pour s'assurer que les attentes des clients sont réellement comblées.
Tout l’enjeu des maisons de luxe est de passer de client "advocate" pour qui l’expérience client s’est bien passé à des "ambassadors" qui promeut son expérience autour de soi et agit en véritable ambassadeur. Le gap est important est tout l’enjeu réside dans l’impact du conseiller.
Chez CXG, on a une conviction : le modèle du retail tel qu’on le connait doit être réinventé. Par exemple, Gucci sur leur boutique de Soho a implémenter dans leur boutique des connecteurs qui sont des personnes fans de la marque, présentent pour raconter l’histoire de la marque, créer un vrai lien avec eux. Ils sont assistés pour la proposition des boissons, vérification stock produit etc… Cela ressemble au modèle retail du futur.
Nous avons une réflexion c’est que les marques ont tous des fans, de vrais ambassadeurs, pourquoi pas les ajouter à des équipes retail expertes déjà en poste et définir des rôles de chacun ?
Journal du Luxe
Dans le contexte actuel de pénurie de talents dans le retail de luxe, quelles stratégies les marques doivent-elles adopter pour recruter les meilleurs conseillers de vente ?
Christophe Caïs
Tout d'abord, il est essentiel de se demander sur quels critères les marques recrutent actuellement. J'aime tout particulièrement poser cette question à mes clients : "Que voulez-vous que vos clients ressentent lorsqu'ils entrent dans vos boutiques ?" Cette approche va au-delà des interactions transactionnelles classiques, telles que "Puis-je vous aider ?", pour se concentrer sur l'expérience globale du client.
Un autre point important concerne l'Employer Value Proposition (EVP), qui doit être clairement définie et attrayante pour redorer le blason du poste de conseiller de vente. Ce rôle doit à nouveau séduire les collaborateurs potentiels, notamment en alignant les intérêts de ce poste avec ceux de la nouvelle génération. Le turnover actuel dans le retail démontre que nous sommes encore loin de cet objectif.
Dans ce contexte de pénurie de talents, il est crucial d'élargir le vivier de candidats. Les marques ont tendance à recruter des conseillers ayant déjà exercé le même poste chez un concurrent, mais cela n'est pas forcément la meilleure approche. La qualité la plus recherchée aujourd'hui est l'empathie.
Par exemple, pour l'un de nos clients à l'international, nous avons suggéré d'embaucher des infirmières. Cela peut sembler surprenant, mais lorsqu'on considère la résilience, la vocation et l'empathie dont elles font preuve dans leur travail, cela prend tout son sens. Sur cinq profils recrutés, quatre sont devenus les meilleures vendeuses du réseau. En France, certaines marques explorent des profils issus de secteurs variés tels que les fleuristes haut de gamme, les restaurants, l'hôtellerie ou les galeries d'art. Ces candidats non conventionnels peuvent être de véritables atouts pour les postes de sales advisors dans le luxe.
Journal du Luxe
Le rapport mentionne que 51 % des employés du retail de luxe envisagent de quitter leur poste. Quels sont, selon vous, les principaux facteurs qui influencent cette crise de rétention des talents, et comment les marques peuvent-elles y remédier ?
Christophe Caïs
Les principaux défis liés à la rétention des talents dans le retail de luxe découlent souvent d’un manque de flexibilité et d’un cadre de travail peu adapté aux attentes actuelles. Les marques commencent à explorer des pistes pour y remédier, comme l’introduction du télétravail pour certaines tâches de clienteling ou l’ajustement des horaires en fonction des données d'affluence, permettant ainsi une meilleure gestion des équipes.
Nous avons des équipes pléthoriques en semaine et insuffisantes le weekend. Le rôle de conseiller de vente, bien que traditionnellement axé sur les indicateurs de performance tels que le chiffre d'affaires, l'indice de vente ou le panier moyen, exige également un engagement relationnel pour offrir un service client exceptionnel. Il peut être difficile pour les conseillers de concilier ces exigences transactionnelles avec la nécessité de créer des expériences mémorables, ce qui peut générer une pression significative.
Les marques qui se démarquent en période de crise sont celles qui investissent dans la valeur à long terme de leurs clients, en bâtissant une base de clientèle fidèle et en comprenant que les relations ne se résument pas à des transactions uniques. Ces marques s’engagent aussi à valoriser leurs équipes retail en offrant des salaires attractifs, des avantages compétitifs, et des perspectives d’apprentissage et d’évolution clairement définies. Cela permet de fidéliser à la fois les clients et les collaborateurs, créant des relations durables fondées sur la confiance.
Il serait également pertinent de repenser le modèle traditionnel du retail en introduisant davantage de flexibilité, notamment en ce qui concerne la zone géographique des collaborateurs, pour s’adapter aux nouvelles attentes et offrir un cadre de travail plus équilibré.
Journal du Luxe
La génération Z a des attentes bien différentes de celles de leurs aînés. Quelles sont leurs aspirations, et comment aligner leurs intérêts avec ceux des marques ?
Christophe Caïs
Pour relever ce défi, il est crucial dans un premier temps de réenchanter le métier de sales advisor, car aujourd'hui, même les plus grandes maisons ne parviennent plus à attirer les jeunes talents uniquement grâce à leur renommée. Hermès a récemment mis en avant le rôle du conseiller de vente pour redonner de l’éclat à cette fonction. Toutes les marques doivent contribuer à redonner du prestige à ce métier, afin de l'inscrire pleinement dans une logique de carrière plutôt que de le voir comme une étape transitoire.
De plus, il est crucial de clarifier les perspectives d'apprentissage et d'évolution au sein des entreprises. Contrairement à leurs prédécesseurs, les jeunes générations recherchent des opportunités claires d’évolution pour s’engager dans un poste et s’y projeter durablement. Cela passe par des initiatives comme la création d'académies de formation et de programmes de coaching, qui mettent l’accent sur le développement personnel, le storytelling et le clienteling. Les marques doivent aller au-delà de la simple formation produit, car avec l’accès à l’information en ligne, les clients connaissent souvent déjà les produits. Ce qu'ils recherchent aujourd'hui, c'est une expérience client unique.
En parallèle, il est essentiel de répondre à la quête de bien-être et d'équilibre entre vie professionnelle et personnelle de cette génération. Les marques doivent donc adapter leurs offres pour aligner les intérêts du métier avec les aspirations des jeunes talents.
Enfin, il faut repenser les jobs descriptions, souvent trop transactionnelles et peu inspirantes. L'intelligence émotionnelle, chère à cette jeune génération, doit être mise en avant.
Journal du Luxe
Avec la montée en puissance des outils numériques et de l'intelligence artificielle, quelle évolution envisagez-vous pour l'avenir du retail de luxe ?
Christophe Caïs
Avec l'essor des outils numériques et de l'intelligence artificielle, le secteur du luxe est en pleine transformation. La data jouera un rôle clé, notamment en permettant de modéliser la performance retail en analysant les éléments suivants : qui recruter, comment former et encadrer les équipes (input) pour ensuite mesurer l'expérience client offerte (output). Bien que cette équation ne soit pas encore résolue, certaines marques s’y attèlent déjà.
L’intelligence artificielle sera également un atout pour affiner les campagnes marketing, en ciblant plus précisément les publics pertinents, et pour le recrutement, avec l’émergence de modèles prédictifs permettant de mieux évaluer l’adéquation des candidats. Par ailleurs, la technologie évolue rapidement : nous verrons bientôt des robots assister les conseillers en boutique pour des tâches comme le service des boissons ou la gestion des stocks.
Cependant, il est crucial de veiller à ce que les collaborateurs retail soient associés à toute décision concernant le point de vente, afin de s’assurer que ces innovations facilitent réellement leur quotidien et simplifient leurs missions. L’avenir du luxe s’annonce prometteur, porté par la réinvention continue de cette industrie emblématique. Je suis optimiste, car les grands groupes de luxe et les marques leaders sont dirigés par des managers ayant une vision à long terme et la capacité de prendre les mesures nécessaires pour garantir la pérennité de leurs marques. J’aimerais que le métier de vendeur soit valorisé et reconnu comme une véritable aspiration de carrière, digne de fierté
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Sandra Robichon, CEO et fondatrice de Catwalks, une agence de recrutement spécialisée dans le Retail Luxe, Mode & Beauté.