Chronique

Emergence de la haute-parfumerie chinoise : interview exclusive avec le créateur Qiu Hao.

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Invitation à la découverte de la singularité d’un parcours fulgurant, qui annonce l’émergence de la haute parfumerie en Chine.

Depuis 2014-2015, dès lors que les jeunes Chinois ont commencé à explorer le parfum de manière significative et disruptive de leurs ainés ; beaucoup se sont en effet interrogés sur l’émergence possible de marques chinoises "de luxe" pouvant faire concurrence aux marques occidentales, selon les critères retenus pour définir ou établir une marque comme marque de luxe : savoir-faire, rareté, exclusivité, vision créative, héritage... la question peut faire débat.

Mais aujourd’hui, alors que la croissance moyenne, composé du marché des parfums en Chine de 2021 à 2025, est estimée à 22,5 % (Euromonitor), le segment de l’ultra-premium fait plus que jamais l’objet d’une attention soutenue. Les initiatives sont nombreuses : parfumerie de niche exclusive, haute-parfumerie, collections privées… Émanent tant de la part de marques occidentales, que chinoises.

Parmi elles, la marque Qiu Hao mérite une attention particulière.

Créateur de sa marque éponyme depuis 2006, après avoir fait la St Martins School, le parcours de Qiu Hao a été jalonné par de nombreuses récompenses et distinctions : Woolmark Gold Award (2008), Forbes 25 Chinese dans la catégorie mode (2010), nominé par WGSN NYC (2011) et distingué par Vogue China comme talent à suivre (2012).

Depuis 2006, 33 collections ont été mises sur le marché. En 2022, Qiu Hao lance ses premiers parfums avec une reconnaissance fulgurante.

©QIU HAO

Sur les 3 parfums lancés en collaboration avec le parfumeur chinois Yili, deux d’entre eux ont été immédiatement distingués.

  1. No Man‘s Island a reçu un mAPA (minorité ArtisticPerfumery Award), prix chinois existant depuis 2017 dont le jury est constitué de professionnels de la parfumerie.
  2. Wind Blows a été nominé à Esxence (Évènement international de la parfumerie artistique, se tenant chaque année à Milan) en avril dernier, comme finaliste dans la catégorie des marques indépendantes. C’est d’ailleurs la seule marque chinoise à s’y être illustrée.

Le Journal du Luxe est heureux de lui donner la parole, et vous invitons à découvrir sa singularité.

Journal du Luxe

Pourquoi avez-vous décidé de devenir un créateur de mode ?

Qiu Hao

C’est une longue histoire. En fait je n’avais pas l’intention ou ne prévoyais pas de devenir créateur de mode. Mon père travaille dans l’architecture, donc j’ai été exposé dès le plus jeune âge à divers projets architecturaux. À l’université, mon père m’a fait choisir des études de design environnemental et spatial. Au début je pensais juste que réaliser des vêtements à partir de tissu était plus facile à mettre en place et à contrôler que de construire un bâtiment. Et c’est ainsi que j’ai fini par produire des vêtements jusqu’à ce jour. Créateur de mode est [juste] la manière dont les autres me définissent et me désignent. En fait, au fil du temps, j’ai fait de la création de mode un style de vie. Tout le contenu de ce que je crée correspond à ce que j’aime, à ce dont j’ai besoin, à ce que je désire exprimer et présenter au monde.

Journal du Luxe

Vous avez décidé très tôt de créer votre propre marque de mode, c’est une décision audacieuse. Qu’est-ce qui a suscité cette décision ?

Qiu Hao

Je pense que de créer des vêtements à créer sa propre marque est une décision très naturelle.

Journal du Luxe

Quelle est l’histoire derrière votre décision de lancer des parfums ? Quel est le concept ?

Qiu Hao

Mon partenaire de vie est passionné de parfums, il poursuit des recherches sur le sujet et les collectionne. Dans notre maison à Shanghai, nous n’avons pas internet, mais nous y cultivons environ 800 plantes et y avons plus de 1000 flacons de parfums. Nous ne faisons jamais d’heures supplémentaires et rentrons tôt. Il se plonge dans son monde de parfums, et je m’immerge dans mon royaume de plantes. Il y a très peu d’odeurs que j’aime vraiment beaucoup, et encore moins de parfums que je suis désireux d’utiliser. Il y a deux ans, nous avons décidé de créer un parfum que j’aimerais. Durant le processus créatif, la vision olfactive est devenue de plus en plus claire. Des deux parfums initialement prévus, aux trois finalement lancés, le troisième est une senteur inattendue, ressuscitée dans le cours du processus de création ; qui a donné naissance à Wind Blows, nominé à Esxence, que personnellement j’aime beaucoup.

Notre première collection comporte 3 parfums : Wind blows, No man's island et Lover's hug.

Le point de départ des parfums a été notre 33ème collection dont la thématique était "No man's island". Cela a amené le parfumeur Yili à créer 3 chypres très verts, restituant d’abord le parfum d’une île verte prise dans la brume, suivi des deux autres parfums. En tout, 3 parfums, à propos de souvenir, d’émotion et de corps. Ces trois nouveaux parfums forment une histoire complète : la brise marine souffle sur une île inhabitée, s’enrobant des parfums de fleurs et d’épices. Ils s’étreignent étroitement, c’est l’odeur du vent de la mer, c’est l’odeur de l’île, c’est l’odeur de la peau.

©QIU HAO

Journal du Luxe

Pourriez-vous partager un souvenir olfactif qui vous est cher ? Qui pourrait possiblement servir d’inspiration ?

Qiu Hao

Les souvenirs olfactifs sont à la fois complexes et flous. Il n’y en a pas un de précis. Mais ils font partie intégrante de mon inspiration créative, une sorte de parfum étrange, mais capable de réveiller les souvenirs. 

Journal du Luxe

Quel était votre premier parfum ? Quelle sorte de senteur ?

Qiu Hao

Très rares sont les parfums qui ont pu me toucher, ou me donner envie de les aimer et porter dans la durée.

Journal du Luxe

Comment votre amour des plantes influence-t-il ou se transpose-t-il dans vos choix créatifs/olfactifs ? Y-a-t-il des ingrédients spécifiques que vous aimez particulièrement ?

Qiu Hao

Par exemple, pour No man's island, la senteur moite ressemble à celle de la serre que j’ai créée pour mes plantes. Par ailleurs je préfère les feuillages aux plantes à fleurs. Donc pour la première collection de parfums, j’ai demandé au parfumeur d’utiliser aussi peu de fleurs que possible, et de les remplacer par les odeurs épicées que j’aime.

©QIU HAO

Journal du Luxe

Quelles impressions avez-vous voulu relayer avec vos parfums ?

Qiu Hao

Mon intention première était de créer un parfum que j’aime et que j’ai envie de porter, juste comme pour mes vêtements. Je ne vais pas essayer de deviner ce dont le marché a besoin ou ce que les consommateurs veulent, parce qu’on ne peut jamais deviner ce que les autres aiment.

Journal du Luxe

Il y a aujourd’hui très peu de marques de parfums chinoises reconnues internationalement. En obtenant un prix mAPA et une nomination à Esxence, votre marque est l’une d’entre elles. Définiriez-vous votre marque comme une marque chinoise ou une marque internationale ? Pourquoi?

Qiu Hao

Je ne vais pas définir quoi que ce soit explicitement, ni moi, ni ma marque. Je veux encore moins vendre de concept chinois ; je veux juste créer ce que j’aime, ce dont j’ai besoin et ce que je veux présenter. Le propos ne relève pas d’un concept chinois ou international, mais de mon univers, ma planète, et y attirer la tribu de personnes qui me ressemble. Nous sommes très désireux de faire connaître notre marque et produits à plus de personnes, et y travaillons.

Journal du Luxe

Pourriez vous choisir trois mots pour parler de vos parfums ?

Qiu Hao

Sexy, humide, passionné.

Journal du Luxe

Pour terminer, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Qiu Hao

J’aimerais revenir sur le concept original de QIUHAO. QIUHAO est une ligne de prêt-à-porter féminin haut de gamme lancée en 2003, enregistrée sous mon nom en 2006. BONSAÏ est une société de création de vêtements Co., Ltd. établie à Shanghai en 2014. La société conçoit, produit et exploite principalement la marque QIUHAO. La marque vise à créer des collections modernes et raffinées, élaborées avec des matériaux de qualité selon des processus de production exigeants. Elle soutient l’idée de chérir les objets et de faire "son shopping pour la vie, pas pour une saison". BONSAÏ est une allégorie de notre essence spirituelle. Les bonsaïs prennent du temps à grandir et peuvent croître sur des millénaires, c’est exactement la philosophie que notre société soutient, à savoir que tout est naturel et éternel, que tout survient pour une raison, suivant les lois de la nature, mais que rien ne devrait être traité nonchalamment. BONSAÏ propose des choix plutôt que de répondre à des demandes. Nous insistons pour faire passer le design en premier, trouver le marché vient après.

 

Dao Nguyen est fondatrice d’Essenzia ByDao, une agence dédiée dans l’accompagnement des marques de parfums et beauté dans leur déploiement en Chine. Marketing stratégique et anthropologie du goût.

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