L’affaire "MetaBirkin" vue de la France.
Publié le par Journal du Luxe
Véronique Piguet, avocate au Barreau de Paris, donne son point de vue suite à l'affaire qui opposait la maison Hermès à l'artiste digital Mason Rothschild. Et si le procès avait eu lieu en France et soumis au droit français, l'issue aurait-elle été la même ?
Le sac Hermès et les NFTs de Mason Rothschild.
Cette affaire a comme point de départ le célèbre sac Birkin, commercialisé par Hermès depuis près de 40 ans.
Lors d’un voyage en avion où Jane Birkin s’est retrouvée assise à côté du PDG d’Hermès, la jeune actrice a confié à ce dernier qu’elle ne trouvait pas de sac idéal à une jeune maman. Le PDG l’ayant mise au défi de dessiner ce sac parfait, Jane Birkin a commencé à l'imaginer dans l’avion. Le sac sera baptisé « Birkin » et commercialisé par Hermès.
En janvier 2021, Mason Rothschild et Eric Ramirez créent ensemble un NFT basé sur une œuvre numérique intitulée "Baby Birkin". Cette œuvre représente un bébé qui grandit dans le sac Hermès dénommé Birkin et se veut, d’après Mason Rothschild et Eric Ramirez, un clin d’œil au sac à main et à sa position recherchée dans la culture pop, son prix de vente dépassant largement le prix estimé de 9 500 dollars des "baby" Birkins de 25 centimètres vendus par Hermès. Mason Rothschild et Eric Ramirez se réfèrent ainsi aux toiles d’Andy Wharol qui représentent des boites de soupe Campbell.
Devant le succès rencontré, Mason Rothschild décide de créer une série de 100 NFTs dénommée « MetaBirkin » et dont les fichiers associés représentent chacun un modèle de sac à main en fausse fourrure (modèles qui n’existent pas chez Hermès). Il a indiqué vouloir ainsi dénoncer la maltraitance animale. En décembre 2021, l’artiste Mason Rothschild proposait à la vente ces 100 NFT sur la plateforme OpenSea, pour plus de 10 000 dollars la pièce, et lançait sa collection lors du Miami Art Basel 2021.
Le procès aux USA.
La maison Hermès réagissait rapidement et obtenait tout d’abord de la plateforme OpenSea la cessation des ventes. Cependant, la plateforme Rarible, qui proposait également les NFTs à la vente n’ayant pas obtempéré, Hermès a décidé de saisir le tribunal fédéral de New York le 14 janvier 2022. Cette procédure est donc soumise au droit américain, et le tribunal a rendu mercredi 8 février 2023 son verdict, condamnant Mason Rothschild à verser 133.000 dollars de dommages et intérêts à la société Hermès.
Il faut savoir qu’Hermès fondait ses demandes essentiellement sur le droit des marques. La prestigieuse maison est en effet titulaire, depuis 2005, d’une marque américaine « BIRKIN » déposée en classes 16 (porte-chéquiers) et 18 (articles de maroquinerie). Mais Hermès a procédé à un nouveau dépôt de son signe « Birkin », le 26 août 2022, dans les classes 9, 35 et 41 par lesquels elle vise les exploitations de ses produits dans des environnements de réalité virtuelle et sous forme de NFTs.
Quid d’une procédure en France ?
Il est à noter que les MetaBirkins sont toujours exposés sur le site Rarible, accessible depuis la France.
Hermès aurait-elle pu choisir d’assigner l’artiste Mason Rothschild devant le juge français (Hermès est bien entendu titulaire d’une marque française Birkin en classes 16 et 18) ?
Le site Rarible, qui présente au public les objets pour lesquels la contrefaçon de marque est invoquée, est accessible depuis la France, ce qui permettrait de saisir le juge français pour demander réparation du seul dommage causé en France.
En droit français, il existe une disposition spécifique du code de la propriété intellectuelle pour les marques dites renommées. Ainsi, une protection est accordée à la marque renommée, même si les produits ou services sont non similaires à ceux visés par le dépôt de marque, dès lors qu’il est tiré profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou qu’il lui est porté préjudice.
Cependant, il doit s’agir d’un usage « dans la vie des affaires » c’est-à-dire d’un usage qui « se situe dans le contexte d'une activité commerciale visant un avantage économique ».
Traditionnellement, la jurisprudence considérait qu’il ne saurait y avoir de parasitisme du fait de l'utilisation d'un signe de ralliement de la clientèle dans une œuvre littéraire ou artistique, en vertu de la liberté de création. L'exception de parodie a également pu permettre d’échapper à la contrefaçon.
Les 100 MetaBirkin ayant atteint un prix cumulé de près de 450 000 $ et se référant directement aux produits commercialisés par Hermès sous la marque Birkin, la question peut se poser de savoir s’il ne s’agit pas d’un usage dans la vie des affaires. La situation pourrait ainsi être différente concernant l’œuvre numérique "Baby Birkin" et les MetaBirkin.
L’œuvre "Baby Birkin" comporte un vrai propos artistique, tandis que les MetaBirkin pourraient être considérées comme des déclinaisons du sac Hermès dans l’univers du web3 qu’Hermès sera vraisemblablement tenté d’investir, comme l’a déjà fait un assez grand nombre d’acteurs du secteur de la mode.
Au-delà du risque de confusion qui pourrait résulter pour le public, attribuant les sacs MetaBirkin à Hermès, l’argument selon lequel la commercialisation de ceux-ci sous forme de NFT consiste à tirer un profit indu de la notoriété de la marque, ainsi que des efforts de création et d’investissement d’Hermès, pourrait être reçu par les tribunaux français.
Il se trouve d'ailleurs qu'Hermès n’a pas formulé de demandes à l’encontre de l’œuvre numérique "Baby Birkin", ce qui pourrait permettre de sérier les reproches à l’encontre de la commercialisation des MetaBirkin, sans autorisation d’Hermès.
La solution serait donc, sommes toutes, la même que celle du juge américain : les jurés n’ayant pas été convaincus que les NFTs de Mason Rothschild étaient de l’art, aux termes de leur décision du 8 février 2023.