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La honte du luxe en Chine : les marques doivent-elles s’en préoccuper ?

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Le dernier rapport de Bain et Altagamma fait état d’un ralentissement de la consommation des biens de luxe en Chine en 2024, avec des projections de croissance à un chiffre sur 2024 (versus un taux de 12% en 2023). Parallèlement le rapport mentionne aussi un phénomène de "luxury shame", comparable à ce qui s’est joué aux États-Unis en 2008-2009 lors de la crise financière.
Qu’en est-il vraiment ? Les marques doivent-elles s’en préoccuper ?

Recontextualisation et décryptage

Si le ralentissement de la consommation des biens de luxe continue en Chine, cela ne signifie pas nécessairement que l’appétit des consommateurs chinois pour le luxe diminue dans l’absolu. Dans un contexte de ralentissement économique et d’incertitude face à l’emploi, nombreux sont les jeunes Chinois qui ont décidé de déplacer et/ou de reporter leurs achats, avec de nouveaux arbitrages en train de s’installer.
Les 16-24 ans (hors étudiants) doivent en effet faire face à un taux de chômage de 14,7% en avril (Bureau national des statistiques) ; tandis que le ratio d’offres d’emploi pour les diplômés de master et doctorat se situe à 33,2%, une chute de 17 points par rapport à l’année dernière (Zhaopin recruitment data 2024).

Déplacement géographique

Plus rationnels que jamais, les jeunes Chinois sont à l’affut des meilleures offres et n’hésitent pas à faire des comparatifs et analyses de la valeur très poussés. Ceux qui le peuvent ont choisi dernièrement de réaliser leurs achats (de luxe) au Japon, profitant d’un cours du yen particulièrement favorable. Sur les réseaux sociaux ils décrivent les gains ainsi réalisés – de 20 à 50% selon les marques et produits. Arbitrage et logique d’investissement. Les Genz abordent leurs achats de luxe avec une perspective patrimoniale, ils préfèrent se diriger vers l’or plutôt que le diamant, vers les marques "sûres" comme Chanel et Hermès.

Arbitrage de marques : Expérientiel et nouvelles attitudes

Les jeunes chinois voyagent de nouveau (statistiques revenues au niveau pré-covid), et pratiquent toujours et encore plus d’activités et de sports en plein air. L’allocation de leurs dépenses s’en ressent, et des marques comme Arc’Teryx, Moncler ou Lululemon sont particulièrement prisées aujourd’hui. Il y a un floutage des périmètres traditionnels du luxe.

Quid alors du "luxury shame" ?

Depuis 2021 les autorités ont relancé le programme de prospérité commune qui vise à réduire les inégalités. À ce titre, elles ont drastiquement sanctionné les influenceurs et célébrités qui faisaient étalage d’un style de vie dispendieux, financé par des évasions fiscales ou détournements divers. Le message est clair : les influenceurs et célébrités ont une responsabilité sociale. Elles se doivent de propager de bonnes valeurs, et à contrario, ne doivent pas créer de ressentiment ou découragement auprès des jeunes. 


Au mois de mai dernier, les autorités ont surenchéri en bannissant du jour au lendemain des réseaux sociaux de nombreux comptes qui, uniquement pour développer leur audience qui se compte en millions, faisaient étalage de leurs richesses (propriétés, voitures, sacs..). Cette décision a été bien accueillie car non seulement ce type d’étalage ostentatoire de richesse – au moment même où nombre de jeunes sont anxieux face à leur avenir.

Du coté consommateurs : faire le distinguo entre VIC et primo-accédants au luxe

Au-delà de la décence et responsabilité sociale, en Chine comme ailleurs le quiet luxury a émergé.
Pour les VIC, la volonté d’accéder à des produits et services exclusifs, que seuls des yeux experts peuvent détecter, parle d’une sophistication croissante relayée par des codes extrêmement feutrés. Ce n’est pas d’interdiction sociale dont il s’agit, mais de choix avisé.

Pour les primo-accédants, les arbitrages se font de manière très détaillée, et plus mature. Les jeunes générations sont ainsi moins à la recherche d’un marqueur social qu’une connexion émotionnelle sincère et durable.

Enseignements pour les marques

La contraction des ventes de luxe en Chine et le phénomène de luxury shame ne devraient pas être lus comme des signes de désaffection ou d’interdiction sociale du luxe. En revanche cela signale l’émergence de nouvelles règles et manières pour recruter et fidéliser une communauté. Tout en douceur, subtilité et discrétion ?

Dao Nguyen est fondatrice d’Essenzia ByDao, une agence dédiée dans l’accompagnement des marques de parfums et beauté dans leur déploiement en Chine. Marketing stratégique et anthropologie du goût.

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