Webinar "L’avenir du Luxe responsable" : le résumé
Publié le par Barbara Haddad
Mercredi 9 octobre dernier s’est déroulé un live spécial "L’avenir du Luxe responsable", co-animé par Eric Briones, Directeur général du Journal du Luxe et Nicolas Feytis, CEO de l’agence Tardigrada. Résumé.
Comment rester une Maison de Luxe attractive et nourrir la croissance tout en étant plus respectueux du vivant- le fameux "People & Planet" ? 6 invités d’exception, spécialisés dans le monde du Luxe nous ont partagé leur vision.
La sustainability : un sujet de fond
Les projets liés à la "sustainability" prennent du temps et s’inscrivent surtout dans une temporalité longue. "C’est ce qui peut expliquer des fluctuations d’appétence", souligne Emilie Daversin, co-fondatrice de VO2 Group, société de conseil en technologie. La tech et l’innovation viennent alors servir l’accélération de la transformation durable des Maisons de Luxe. "Il est possible que nous observions le même phénomène qui s’est produit pour l’expérience client, où le Monde du Luxe s’est positionné comme pionnier pour aller vers une proposition de qualité, ultra personnalisée”, poursuit celle-ci. Afin d’actionner les moyens technologiques au profit d'une au profit d'une vision, VO2 Group a déployé un programme nommé Oxygen, qui repose sur 4 piliers :
- l'accélération Tech (IA, blockchain, Green it …) au service de l’éco-conception, de la traçabilité et de l’optimisation des stocks,
- la décarbonation,
- la formation et la montée en compétences de talents sur ces sujets RSE,
- et le volet Women in Tech pour soutenir la diversité de profils.
Maison Dior : un soutien pour l'autonomisation
Isabelle Faggianelli, Global Corporate Social Responsibility, Diversity & Inclusion pour la Maison Dior, a d’abord été directrice de la transformation digitale de LVMH avant de prendre un poste dédié aux responsabilités sociales de la Maison. "Les combats sociétaux concernent aussi bien une mutation de la société, avec des actions externes, qu’en interne, au sein de l'entreprise", observe celle-ci. Un engagement qui, pour la Maison, passe tout d’abord par le soutien à l’autonomie : "Nous croyons en l’importance de soutenir individuellement et collectivement le fait que chacun puisse faire ses choix et d’être ce qu’il souhaite. Nous avons donc pris cette notion d’"empowerment" comme un combat pour contribuer à cette autonomisation, dans le sens où chacun puisse sentir cette puissance d’"être capable de …", poursuit Isabelle Faggianelli. C’est un engagement à développer des connaissances et des savoirs faire pour mieux comprendre le monde et pouvoir s'y inscrire de la façon la plus libre possible. Cette autonomie passe par l’éducation et la transmission. "On ne choisit pas par hasard ses combats sociétaux, il doit y avoir un souci de cohérence et de crédibilité avec l’histoire de la Maison. Il est aussi nécessaire de réconcilier différents mondes qui, au départ, n’ont pas les mêmes vocations, pour soutenir la transformation et une cause commune", abonde-t-elle. Dior a ainsi par exemple rejoint la Coalition mondiale pour l'éducation fondée par l'UNESCO et créé la Women@Dior Global Conference. "Ce sont aujourd’hui près de 2000 femmes qui profitent de ce programme", conclut Isabelle Faggianelli.
L’Oréal Luxe : quelle stratégie en matière de développement durable ?
Le Groupe L’Oréal a défini un plan de transformation durable, L'Oréal for the Future, avec des objectifs à 2030. Un programme qui repose sur trois piliers :
- Se transformer en réduisant l’impact sur le climat, l'eau, la biodiversité et les ressources.
- Engager tout l'écosystème - fournisseurs, retailers, consommateurs - dans cette transformation, pour avoir un impact encore plus grand sur l’ensemble de la chaîne de valeur.
- Contribuer à résoudre des défis environnementaux et sociétaux auxquels la société fait face.
"En tant que leader sur le marché de la beauté, nous devons montrer l’exemple. Cela passe par la transformation de nos produits, qui doivent rester désirables tout en présentant un impact environnemental réduit; ainsi que par le fait d’encourager nos clients à adopter des habitudes de consommation plus responsables et notamment, en adoptant le réflexe de la recharge de parfum. Le troisième volet consiste enfin, à travailler avec nos fournisseurs pour éco-concevoir la PLV en magasin", détaille Marie-Pia Schlumberger, Chief Sustainability Officer pour L’Oréal Luxe. Une des solutions innovantes utilisées dans ce sens est par exemple l’outil numérique EcoDesignCloud développé par Eviden.
Pour accompagner cette transformation, le groupe s’est engagé à proposer tous les parfums sous un format rechargeable, avec des recharges faciles à utiliser. "Il faut aussi développer l’attrait pour cette nouvelle pratique, ce qui passe par une visibilité en magasin mais aussi la mobilisation d’influenceurs et de nos égéries. Cela ne fait aucun sens dans le monde du parfum de jeter les flacons, qui constituent de beaux objets et avec lesquels il y a souvent un fort attachement émotionnel (cadeau, réflexe du matin …)", poursuit celle-ci. En magasin, les conseillers de vente représentent également des relais d’information importants. Ainsi, si l’on prend par exemple le parfum Paradoxe de Prada, opter pour la recharge de 100 ml équivaut à économiser 44% de verre et 67% de plastique ! "Pour que la recharge soit une 'nouvelle norme' il faut que cela devienne aussi le 'nouveau cool'. Ce qui passe justement par la mobilisation de nos ambassadrices comme Emma Watson”, abonde Marie-Pia Schlumberger.
Autre innovation durable adoptée par le groupe et notamment la marque Biotherm, la technologie de recyclage carbios qui utilise des des enzymes hyperchargées d’origine naturelle pour décomposer le plastique PET en ses éléments constitutifs et obtenir une qualité de plastique vierge, ce qui permet un recyclage limité environ à 2 ou 3 fois avant que la qualité ne se dégrade. Enfin, un partenariat a été signé avec Cosmo International Fragrances pour révolutionner le processus d’extraction en se basant sur les sciences vertes : "ll s’agit d’un procédé d'extraction unique, qui vient capter l'odeur exacte d'une fleur, d'un fruit, en préservant son intégrité et en ayant une extraction qui est très lente, qui utilise uniquement de l'air (Donc pas d'eau, pas de solvant et pas de chaleur). La fleur est ainsi préservée et être utilisée pour une deuxième extraction ou d'autres d'autres utilisations", résume la Chief Sustainability Officer de L’Oréal Luxe.
La chaire Sustainability IFM x Kering : une approche holistique
"L'objectif premier est de former l'ensemble des étudiants de l’IFM aux concepts et valeurs du développement durable pour les rendre véritablement acteurs du changement. Nous souhaitons des “Change Makers” qui vont façonner l’industrie de demain", explique Andrée-Anne Lemieux, Sustainability Director à l’Institut Français de la Mode & Kering Research Chair. L’approche se veut holistique, avec à la fois des cours sur l’agriculture régénérative, le retail responsable ou encore, le déchet textile; et sur un prisme tant environnemental que social. "Ce qui fait aussi la différence, c’est l'expérientiel, en faisant travailler les étudiants sur de vrais projets, avec des Maisons de Luxe et des marques de mode", poursuit celle-ci.
"La mode comme vecteur de changement", Andrée-Anne Lemieux y croit avec des projets très engagés comme celui mené auprès des sans-abris, où les étudiants ont passé du temps dans les rues pour comprendre les différents besoins des communautés qui vivent dehors. Cela a donné lieu à la conception de centaines de pièces comme un hoodie multi-poches, qui ont ensuite été redistribuées. "Après ce type d’expérience, les managers de demain ne peuvent plus voir la mode de la même façon", affirme-t-elle.
Enfin, Andrée-Anne Lemieux est attachée au concept de "Durabilité intrinsèque", qu’elle a développé dans une approche de recherche avec une de ses doctorantes : "Il s’agit d’une durabilité qui va au-delà de la dimension physique, pour s’inscrire dans des registres de l’émotionnel, du social … C’est une approche de la recherche qui se veut transformative et non juste dans l’observation".
Steven Passaro : l’IA au service des procédés créatifs
C’est au tour, ensuite de Steven Passaro, CEO et Directeur créatif de la Maison éponyme de prendre la parole concernant l’utilisation de l’IA et de la technologie dans la chaîne créative. "J’ai lancé ma marque il y a quatre ans, avec l’envie de redéfinir le processus de développement de collections grâce à la technologie", confirme celui-ci. Il utilise la solution Style3D pour réaliser du patronage digital et ainsi éviter du gaspillage de matières. "Lorsqu’on développe un vêtement, on réalise en moyenne trois prototypes. Avec ce nouveau process, un prototype unique est suffisant, ce qui permet sur deux collections et 60 références une économie d’environ 100 000 euros", confie le créateur. Cette démarche a aussi une valeur pour le client en termes d’expérience qui peut voir le projet adapté à ses mensurations et ce, à distance. L’IA sert alors de "ping pong" créatif, pour aller plus loin dans l’idéation, sans enlever la poésie du style propre à la Maison de couture.
Le Pre loved : futur du Luxe ?
Stanislas de Quercize, board member et président et fondateur de SAVIH, rappelle quant à lui l’intérêt grandissant pour le pre loved, déjà présent dans de nombreux secteurs comme l'automobile ou l’immobilier : "C’est 60% du chiffres d’affaires de Ferrari en France par exemple", souligne celui-ci. Il y a donc un intérêt notable à adopter cette démarche "Je vends, je répare, je rachète", dans d’autres secteurs du Luxe, comme la joaillerie. "C’est une proposition triple win, que ce soit pour la marque ou les clients qui vendent et qui rachètent", poursuit Stanislas de Quercize. Il appuie enfin sur le fait que cette mobilisation pour un Luxe plus durable doit se faire de façon collective, à l’instar de la Fédération de la mode circulaire, créé avec Maxime Delavallée, Président.
Sturia : un caviar français en mode résilience
Aujourd’hui sur 600 tonnes de caviar produites dans le monde, 250 proviennent de Chine, qui devient ainsi le numéro un mondial du caviar. "Toutefois le caviar qui y est produit est peu ennuyeux d'un point de vue du goût. En France, la direction prise est à l’opposé, puisque nous ne travaillons pas d'espèces endémiques car elles sont trop rares pour pouvoir être cultivées", explique Laurent Dulau, CEO de Sturia. Un luxe durable qui n’est pour autant pas synonyme de morosité puisque les boîtes de caviar de la marque sont multicolores, avec une envie de casser les codes traditionnels.
Par ailleurs, chaque année, la Maison Sturia imagine un coffret cadeau qui reprend une des valeurs de l'entreprise : "Il y a deux ans, c'était la transparence par exemple", poursuit celui-ci. Les normes environnementales viennent ainsi servir la qualité et la désirabilité de la marque. "La passion fait ensuite toute la différence, qui se traduit par la proposition d’un produit d’excellence, qui se consomme avec parcimonie mais que l’on prend plaisir à partager lors de moments festifs. C’est aussi l’attention particulière qui est portée au bien-être du poisson, avec un travail fait main, artisanal", abonde Laurent Dulau. Le Luxe devient alors non plus synonyme d’opulence mais de frugalité : consommer moins, produire mieux.