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« Tous les indices sont au vert pour l’avenir du luxe » Amélie Debaye & Pierre Gomy, Kantar.
Publié le par Pauline Duvieu
Croissance exponentielle de Tesla, influence de Tik Tok, puissance des maisons de luxe… L’institut d’études Kantar dévoile son rapport annuel BrandZ Top 100 Most Valuable Global Brands 2021. L’occasion pour le Journal du Luxe de s’entretenir avec Amélie Debaye, responsable du secteur luxe et beauté, et Pierre Gomy, responsable du marketing Europe Centrale et Sud, chez Kantar Insights.
Journal du Luxe
Quelle est la méthodologie du rapport BrandZ Top 100 Most Valuable Global Brands 2021?
Pierre Gomy
La méthodologie de Kantar s’appuie sur une double approche financière et consommateur. La démarche financière consiste à récolter des données publiques, réalisées par des agences comme Bloomberg, sur les résultats, les performances et la capacité des entreprises à faire du profit au niveau global. Notre équipe d’analystes financiers va isoler les actifs intangibles de ces profits, comme les brevets et les éléments de propriété intellectuelle, pour ne rassembler que les composantes de la valeur de la société. Cette première étape amène alors à un chiffre en milliards de dollars appliqué à un multiple de marque, c’est-à-dire son aptitude à maintenir ses profits dans le temps.
Chez Kantar, nous ne nous contentons pas de ce calcul financier : nous ajoutons une composante consommateur depuis 1998. Chaque année, nos équipes interrogent 200.000 personnes dans une cinquantaine de pays, par échantillon de couple catégorie/pays, comme les produits de luxe en France ou l’automobile en Chine. Plus de 500 catégories de produits sont couvertes par rotation tous les deux ans, nous apportant des informations récentes sur les marques à l’international. Ces dernières sont analysées sous trois critères : le sens, à savoir si les consommateurs ont un rapport émotionnel fort ou non avec les marques ; la différenciation, c’est-à-dire leur unicité et leur capacité à fixer les tendances de leur catégorie ; et enfin la présence à l’esprit, en fonction du besoin des consommateurs. Nous résumons ces trois piliers sous la forme d’un score allant de 1 à 5, qui va pondérer la valeur financière préalablement calculée. Ces informations donnent ainsi lieu au classement BrandZ Top 100, publié depuis 2006. Depuis quelques années, des classements locaux et par catégorie sont aussi disponibles.
Journal du Luxe
Tesla est la marque à la croissance la plus rapide avec +275% de valeur augmentée en un an. Qu'est-ce qui explique ce développement ?
Amélie Debaye
Les marques américaines ont la part belle cette année, entre Amazon à la première place, Apple non loin derrière et Tesla, qui est devenue la marque automobile la plus puissante : elle fait partie des cinq entreprises ayant plus que doublé leur valeur cette année. Il est clair que Tesla possède une force de marque assez impressionnante. Une entreprise se doit d’être fonctionnelle, avec des designs et des services bien conçus, et pratique pour le consommateur. Il est nécessaire qu'elle apporte une expérience supérieure à travers les différents points de contact, tout en ayant une communication solide. La société Tesla se montre donc attractive et équilibrée dans ces quatre points, qui représentent 70% du succès d’une marque.
Journal du Luxe
Tiktok connaît aussi une forte croissance, à +158%. Cependant, les maisons de luxe ont mis du temps à s'y implanter : les nouvelles plateformes sociales sont-elles trop rapides pour le luxe ?
Amélie Debaye
Je pense que le luxe a longtemps été dans une posture de maîtrise dans l’aspect créatif. Les choses changent petit à petit, les maisons se mettent plus dans un état d’esprit consumer centric. Certaines marques sont allées vers ces nouvelles plateformes plus facilement que d’autres, notamment Gucci qui a très bien pris le virage Tiktok en créant du contenu en phase avec son public. Quant aux autres réseaux sociaux, Instagram reste une base sûre pour les maisons. Twitch, malgré ses spécificités parfois difficiles à appréhender pour une marque, pourrait être intéressante par ce caractère de proximité avec la communauté.
Journal du Luxe
Que retenir de la présence des marques de luxe dans le rapport ?
Amélie Debaye
Les marques de luxe sont installées dans notre Top 100 depuis longtemps. Cependant, elles ont su rester présentes et réactives lors de la pandémie, à l’instar des actions solidaires réalisées par les maisons LVMH au coeur de la crise. Les marques ont la force de pouvoir garder leur liberté de création et d’assortiment, quelles que soient les tempêtes. Hermès a, par exemple, intégré des studios TV à l’intérieur de ses magasins afin de réaliser des ventes personnalisées à distance et sur le média social choisi par les clients. Accéléré par la crise sanitaire, l’aspect sustainability a été renforcé et mis en avant, comme le matériau Demetra de Gucci et le sac en fibres de champignons d'Hermès. Si ces tendances étaient déjà présentes avant la crise sanitaire, les marques ont tout de même réussi à se réinventer et surprendre leur public, comme le programme Manufacto Hermès.
Journal du Luxe
Comment évoluent les marques de selfcare et de cosmétiques ?
Amélie Debaye
Malgré des différences notables entre les catégories, les marques de beauté s’en sont bien sorties grâce au e-commerce. Le segment du selfcare a connu un bond en avant et est devenu l’une des plus grandes tendances de l’industrie. Le parfum arrive à rester stable grâce aux innovations, à la présence dans l’esprit des consommateurs et aux engagements des marques.
Estée Lauder a été extrêmement active auprès des jeunes générations chinoise, notamment via Tiktok et Weibo, et a accentué sa stratégie de livestream shopping. Lancôme a été bien présente au niveau du virtual shopping et a su s’appuyer sur la technologie, avec notamment des diagnostiques anti-âge.
Journal du Luxe
Quelles sont les perspectives de croissance pour le luxe ?
Amélie Debaye
Les perspectives sont plutôt réjouissantes pour le luxe en raison d’un rebond assez fluide et marqué. Les marques vont devoir poursuivre leur investissement dans l’environnement, la technologie, l’inclusion et l’expérientiel. Les maisons tendent également à devenir plus attentives à la santé et au bien-être, à l'image du tourisme haut de gamme qui introduit des programmes de détox digitale et de soins au sein de ses offres.
Pierre Gomy
D’un point de vue plus technique, les biais de croissance des maisons sont marqués par la différenciation : les marques françaises sont très bien positionnées sur cet axe, comme Hermès, Chanel et Dior. En renforçant leurs éléments différenciants, elles ont obtenu une "assurance croissance" pour le futur. Ces entreprises s’appuient sur des tendances consommateurs fortes comme l’artisanat, la seconde main et la durabilité du produit. La qualité des publicités et des expériences à travers les différents touchpoints seront aussi des leviers importants. Tous les indices sont au vert pour l’avenir du luxe.