Le Petit Lexique digital : moodboarding

Chaque mois, Laurent François décrypte les mots de nos identités numériques, en lien avec l’actualité.

/Le moodboarding/ : est une pratique qui consiste à créer un tableau d'inspiration visuelle rassemblant des images, des couleurs, des textures, des typographies et d'autres éléments graphiques afin d'exprimer une ambiance, une esthétique ou une direction créative. C'est également une activité digitale permettant à l’individu de se définir sur les réseaux sociaux.

Les moodboards ne sont pas une pratique nouvelle. Apanage des stylistes, des directeurs artistiques ou des designers, le moodboard sert à définir une vision, une tonalité, un territoire. Un moodboard Gucci ne saurait ressembler à un moodboard Valentino. Le moodboard est ensuite un outil décisionnel et stratégique : il sert de référence pour l'élaboration d'un brief destiné aux réalisateurs, aux photographes et aux autres créateurs, qui y puisent une direction avant de proposer leurs traitements visuels. À la fois objet de référence et de compromis, le moodboarding a été amplifié par les univers digitaux. Créer un tableau d’inspiration visuelle est désormais un moyen pour l’individu de façonner son identité numérique, au même titre que le partage de contenus sur les réseaux sociaux.

Moodboarding : s’affranchir des algorithmes et insuffler l’heuristique

Une raison pour laquelle les individus sont en train d’utiliser à plein le moodboarding est pour tenter de reprendre le contrôle contre les flux incessants de contenus sur Instagram ou TikTok. Contre la sursaturation, le rôle de curateur semble être de plus en plus prisé afin de mettre du sens.

L’acte de capturer une image, puis de l’associer à d’autres références personnelles, devient un moyen de contourner les suggestions algorithmiques et de se créer un environnement numérique propre, protégé et plus fidèle à son imaginaire. À la manière du journaling, le moodboarding crée un moment de réflexion d’abord pour soi et éventuellement à destination d’une audience.

Surtout, le moodboarding reflète une tendance de fond : contre l’algorithmique, proposer une démarche heuristique (du grec ancien εὑρίσκω, heuriskô, "je trouve"). Cet art de découvrir et d’explorer librement, en dehors des filtres imposés par les plateformes, représente une tentative de reprendre le pouvoir créatif. Sur Substack, des communautés dédiées aux moodboards connaissent un succès croissant, prouvant ainsi que cette pratique ne se limite pas à un exercice esthétique, mais devient un levier d'influence.

Des outils à disposition des "moodboarders"

L’intérêt pour le moodboarding a explosé à partir du printemps 2022 selon Google, ce qui coïncide avec le lancement de l’application de collages "Shuffles" par Pinterest.
Pinterest - dont la proposition est de nativement proposer des outils simples afin de créer des tableaux - a très tôt compris l’importance pour les utilisateurs de "moodboarder", notamment en créant une fonctionnalité de découpage d’images et de collage, que la plateforme présente comme une façon de "matérialiser vos rêves". Désormais présente par défaut sur leurs applications mobiles, elle permet à des millions de personnes de créer leurs propres moods. Sur TikTok, de nombreux "hacks" sont partagés par les utilisateurs afin d’utiliser simplement les fonctions collage et moodboard notamment dans la mode. Amelia Keindl a connu un moment viral en expliquant comment elle utilise l’application Notes pour avoir toujours à disposition son moodboard de tenues.

Évidemment, le moodboarding est aussi une activité performative ; symbole de rang social, d’éducation, de goût, il se nourrit du luxe tant du point de vue de son iconographie que de ses incarnations. Une façon de mêler l’ère du temps pour soi, un souhait de halo pour les autres, mais également le riche héritage des Maisons.

Laurent François est un dirigeant d’agence de publicité, spécialiste des stratégies créatives et digitales pour les maisons de luxe. Il est l’auteur de "Réseaux Sociaux : une Communauté de Vie" chez L’Harmattan et anime la newsletter "En Vivance".