Franck Besnard Estée Lauder

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« Pour séduire la Gen Z, il faut être capable d'innover et d'identifier les tendances » Franck Besnard, Estée Lauder Companies

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Les difficultés vécues par le monde du luxe touche aussi le secteur de la beauté. Le géant américain Estée Lauder a annoncé une baisse de son chiffre d'affaires de 6% en 2024. Comment renouer avec la croissance ? Quelles perspectives pour l'année 2025 ? Sur quels produits miser ? Quelles tendances faut-il suivre ? Franck Besnard, le Président France d'Estée Lauder Companies nous dévoile la vision stratégique du groupe pour restaurer une croissance durable des ventes dans les années à venir.

Journal du Luxe

Le groupe Estée Lauder fait face à quelques difficultés financières, avec une baisse de son chiffre d’affaires de 6% en 2024. Quelle est votre analyse de cette année compliquée pour le groupe à l’échelle mondiale ?

Franck Besnard

Les résultats publiés dernièrement sont difficiles et sont liés aux souffrances de nos marchés historiques, comme celui de la Chine, perturbés par un contexte géopolitique incertain. Cela nous amène aujourd’hui à nous réinventer. Nous avons ainsi lancé très récemment le programme "Beauty Reimagined", un projet de croissance et de transformation qui va nous guider pour les prochaines années.

Journal du Luxe

Quel a été le bilan pour le marché français en 2024 et quelles sont les perspectives pour 2025 ?

Franck Besnard

Le marché est en ralentissement actuellement mais il reste aussi volatile que réactif. Le marché français est particulièrement réactif aux parfums d'exception. Nous constatons que des marques comme Editions de parfums Frédéric Malle, Le Labo ou encore Kilian, reçoivent un enthousiasme extraordinaire de la part de nos consommateurs. Il est aussi très réactif, à ce que nous appelons en interne le "marketing contextuel" : c'est-à-dire une mise en scène de nos marques dans un contexte particulier. Au Festival de Cannes par exemple où Tom Ford, Kilian, Clinique ou encore Bumble & Bumble étaient présents; à la Fashion week de Paris, où nous avons mis la marque Kilian en avant, à travers un bar invitant les consommateurs à découvrir les fragrances; en marge d’Art Basel (foire d’art contemporain à Paris) où nous avons invités journalistes et influenceurs pour un événement majeur La Mer. Nous essayons de donner une résonance aux marques permettant aux consommateurs de réagir.
Le marché français est aussi très réactif aux innovations : aux innovations produit mais aussi aux innovations concept (le succès de The Ordinary le prouve), aux innovations texture (multiplication des textures sur le marché de la beauté comme les huiles de bain, les lip liquid, les concealers qui remplacent les fonds de teint). Nous observons aussi l’émergence des formats spécifiques (les sérums mais aussi les solaires deviennent des sticks). Des innovations multiples qui nous permettent de contrer un marché relativement atone.
Enfin, nos consommateurs sont extrêmement réactifs aux valeurs fortes que nos marques sont capables de communiquer : M.A.C Cosmetics avec l’opération Viva Glam qui soutient la communauté LGBTQIA+ et les personnes vivant avec le VIH, La Mer à travers l’initiative Blue Heart pour la protection des océans mais aussi l’association Ruban Rose créée par le groupe qui nous permet de contribuer à cette cause essentielle qu’est la lutte contre le cancer du sein.

Journal du Luxe

Quelle est la définition de la "résonance", et comment la mettre en pratique ?

Franck Besnard

La résonance fait partie du premier pilier de notre plan Beauty Reimagined basé sur la centricité client. La spécificité du groupe Estée Lauder est sa relation unique avec le consommateur puisque nous opérons en direct avec eux dans nos propres magasins online et offline. La résonance, c'est tout d’abord utiliser nos datas pour comprendre au mieux le consommateur; et en deuxième lieu, c’est pouvoir communiquer au juste moment le juste message sans en faire trop, avec beaucoup de transparence et d’authenticité. Il faut rentrer dans le quotidien des consommateurs et agir, communiquer, intervenir sur les sujets qui les préoccupent à ce même moment.

Journal du Luxe

Peut-on aussi parler de "résonance culturelle" : arriver à être écouté et avoir un point de vue sur le monde contemporain ?

Franck Besnard

Effectivement, ce point de vue culturel trouve son origine dans la diversité culturelle qu'est celle du groupe Estée Lauder. Nous avons la chance d'être présent dans 150 pays et d’avoir des équipes locales présentes dans chacun de ces pays. Une implantation géographique qui nous permet de mieux comprendre le consommateur : nous avons des équipes aux quatre coins du monde qui sont capables de nous donner cette bonne compréhension qui est celle du groupe Estée Lauder à l’égard des consommateurs.

Journal du Luxe

La Gen Z française ressemble-t-elle à la Gen Z de Dubaï, à celle des Etats-Unis ? Sont-elles aussi difficiles à conquérir ?

Franck Besnard

Elles réagissent en effet de la même manière. Nous avons décidé de mettre en place la même stratégie : une stratégie basée sur le focus client qu’on appelle aussi la "centricité client". Pour convaincre la Gen Z, il faut être capable d’innover. Nous avons ainsi promis de tripler notre pourcentage d'innovation. Il faut aussi continuer à investir dans l’acquisition de "nouveaux clients".
C’est une population très influencée par les réseaux sociaux, qui suit des tendances. Pour capter ces populations, il faut donc raisonner avec leurs demandes. Nous voyons par exemple émerger le "Skin Minimalism", le fait d’utiliser moins de produits ou de se concentrer sur des produits aux formulations simples. Autre tendance forte : la montée en puissance de la personnalisation. Chez Estée Lauder, nous travaillons à personnaliser non seulement les produits de fragrance (déjà le cas chez le Labo, Jo Malone London), mais aussi les programmes de soins. Nous constatons également une montée en puissance des produits hybrides (crèmes teintées, du maquillage lèvres aux propriétés de soins, etc). On voit aussi des tendances nouvelles apparaître, comme les "bedtime fragrance", des parfums relaxants qui vous permettront de mieux dormir. Ou encore la tendance "Beast Mode perfume" qui consiste à porter des fragrances très soutenues, avec beaucoup de personnalités. Dans ce contexte, le jus Oud Wood de Tom Ford fonctionne très bien en ce moment, tout comme les nouvelles références Balmain.
Chez Estée Lauder, nous avons mis en place un processus d'identification des tendances : nous les analysons puis nous développons un plan d'opération qui nous permet de mieux capter les préférences du moment de chacune des générations.

Journal du Luxe

Vous avez parlé de l'importance des parfums de niche. Les parfums best-seller baissent-ils en puissance ? Y a-t-il une cannibalisation des parfums de niche sur les références block-buster ?

Franck Besnard

C'est en effet notre conviction. Nous sommes aujourd'hui leader dans le parfum d’exception et nous avons fait le choix de renforcer cette position. Nous pensons que cette catégorie de produit est en train de prendre le pas sur le reste des affaires. Nous voyons aujourd'hui des parfums comme ceux de Frédéric Malle ou Kilian remporter un enthousiasme fort auprès de nos consommateurs. Portés par cette croissance, nous nous apprêtons à ouvrir une boutique Kilian dans le Marais. Récemment, nous avons inauguré deux belles adresses dans le quartier : Balmain et Jo Malone London.

Journal du Luxe

Pour la première fois Charlotte Tilbury a osé faire une campagne où elle s’attaque aux dupes. Quelle est votre position sur ce phénomène aussi terrifiant que gigantesque ?

Franck Besnard

Les dupes sont une conséquence regrettable à une inflation sérieuse des produits de beauté. Nous avons d’abord vu une transformation des habitudes de consommation - l’achat de produits de plus petite taille, de textures différentes comme l’eau de toilette, l’huile de bain ou encore l’huile parfumée - qui répond finalement à ce contexte inflationniste. Puis l'avènement des dupes, qui va de la copie, la pure copie à la ressemblance.
Chez Estée Lauder, nous sommes très actifs à deux niveaux : collectivement, nous travaillons avec notre fédération professionnelle pour mettre en place des actions qui vont voir le jour très prochainement, et au sein du groupe nous sommes impliqués à travers un département spécialisé. C’est un sujet qui nous préoccupe et qui, d’une certaine manière, montre l'évolution du consommateur : avant, acheter des copies était perçu comme honteux; aujourd’hui, les jeunes générations sont plutôt fières d'acheter des copies. C'est à nous de réinventer la perception que nous donnons des marques de luxe et de réinventer la manière dont nous pouvons offrir des points de satisfaction au consommateur.

Franck Besnard Estée Lauder

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