Journal du Luxe Intelligence : de la culture, de l’intelligence artificielle et une quête de sens éternelle pour le monde du Luxe
Publié le par Barbara Haddad
Mercredi 29 mai dernier s’est déroulé sur Linkedin le live mensuel du Journal du Luxe Intelligence, organisé avec le soutien d’Accenture. L’occasion d’aborder les tendances qui impactent aujourd’hui le monde du Luxe. Résumé.
1. La culture comme pont entre mémoire et trajectoire future
François Phan, Associate Director chez Accenture Song commence par la notion de désirabilité : "Elle est alimentée par les désirs, qui prennent forme suite aux besoins humains sous l'effet de différents facteurs dont la culture. Ainsi, les Maisons de Luxe touchent désormais leur clientèle au travers de points de contact transactionnels mais aussi culturels". Mais comment se définit la culture d’une Maison de Luxe ? François Phan poursuit : "C'est son histoire et celle de son créateur, son patrimoine, tout comme ses valeurs et ses symboles”. La culture devient alors un pont entre la mémoire, l’histoire et le patrimoine de la Maison d'une part, et sa direction future, ses nouvelles expressions et ses innovations. La culture nourrit ainsi la désirabilité et donc la croissance d'une marque ... mais comment maîtriser ce phénomène pour qu’au fil de l’expansion la culture ne soit pas diluée voire même dégradée, que ce soit auprès des clients ou des collaborateurs ? L’accélération peut amener des process moins "sur-mesure" ou encore des créations moins porteuses de sens. Il y a donc un enjeu de transmission et de conservation culturelle et les nouvelles technologies - dont l'intelligence artificielle - ont un rôle significatif à jouer dans cette passation de la culture à travers les époques et les métiers. "Imaginons par exemple la création d’une librairie numérique dans laquelle une Maison de Luxe pourrait y consigner l'ensemble de ses données, informations et assets de façon ultra-sécurisée. Elle n’aurait plus, ensuite, qu’à moduler différents niveaux d’accès en fonction des besoins : on-boarding de nouveaux collaborateurs, brief d’agence, "ton of voice" de la Maison à travers les époques, témoignages de collaborateurs et d’artisans …", illustre le directeur associé chez Accenture Song.
2. L’IA, la méga star du Salon Viva Technology 2024
Nicolas Rebet, fondateur du Retailoscope, partage, quant à lui, les innovations qui ont le plus retenu son attention lors du salon Viva Technology 2024 : "Le premier constat est celui de nombreuses applications d'intelligence artificielle présentées cette année", explique celui-ci avant de faire un focus sur les innovations proposées au sein du Dream Garden de LVMH : "On peut citer notamment l’essayage virtuel et personnalisé d’une bague Tiffany (dispositif déployé avec Hapticmedia), avec un rendu extrêmement qualitatif mais aussi le Store of the future chez Sephora, avec une recommandation de make up et de skincare personnalisée grâce à l’analyse du visage par l’IA. Une innovation qui s’est d’abord déployée en Asie et qui s’étend aujourd’hui en Europe, avec un impact direct sur le panier moyen : 40% qui utilisent ce dispositif en Asie ont un panier moyen supérieur à un client non exposé à l’expérience" détaille Nicolas Rebet. Visite ensuite chez L'Oréal, avec la bio impression (bio-print) qui permet de recréer de la peau humaine en impression 3D à destination d'usages éthiques tels que les tests allergiques ou d’efficacité. Focus également sur le nano-resurfacer 400 booster proposé par Lancôme, un appareil de beauté spécifiquement développé pour stimuler la pénétration des cosmétiques et amplifier leur performance. "Le modèle est intéressant puisqu’il y a un premier coût d’accès pour acheter l’appareil puis, des recharges. C’est aussi la promesse d’un dispositif de soin haut-de-gamme breveté à domicile, sans avoir besoin de se rendre en institut", poursuit celui-ci. Enfin, deux start-up sont évoquées : Ionnyk, un cadre photo connecté qui permet d’afficher différentes photographies d'une qualité professionnelle (comme si c'était un vrai tirage) et Ircam Amplify qui propose une dégustation par le son.
3. Maisons de Luxe : comment s’adresser à la Gen Z sans pour autant mettre de côté la Gen X ?
Malgré la part croissante que prennent les millenials et la Gen Z dans les achats de produits de Luxe, Morin Oluwole, International Luxury Business Leader / Board Director Breitling, souhaite avec cette tribune, démontrer qu’il ne faut pour autant pas délaisser la Gen X et surtout l’adresser de façon bien particulière. "Il y a aujourd’hui une diversification d'audience importante, qui nécessite d’activer des moyens différents pour engager", explique celle-ci.
Gen X vs Gen Z ? "La Gen X regroupe des personnes nées entre 1965 et 1980. Elles dépensent souvent pour le plaisir, conscientes de l’importance de trouver un équilibre entre le travail et le bien-être et la santé. Les médias utilisés sont assez variés allant de la TV et de la presse aux réseaux sociaux et aux emails. Elles sont aussi très sensibles aux propositions d’objets personnalisés. Aussi, pour communiquer efficacement auprès de cette audience, mieux vaut mettre en avant les gages de qualité et de savoir-faire de la marque ainsi que la durabilité des produits. Des éléments importants pour cette Gen X puisqu’il s’agit souvent d’achat sur le long terme, avec une recherche de tradition, d'héritage et d’excellence. On est donc plutôt dans un registre de Luxe fonctionnel, porteur de sens et d’un usage défini plutôt qu’une recherche esthétique. C’est aussi la perspective d’acheter des “pièces d’investissement”, qui prendront de la valeur au fil du temps. La fidélité se jouera alors plutôt sur l’exclusivité et l’accès à de nouveaux lancements, de nouvelles collections", détaille Morin Oluwole, avant de passer à la Gen Z.
Concernant la Gen Z : "Elle est nativement plus intégrée et engagée sur les canaux digitaux et notamment les plateformes sociales comme Instagram et Snapchat. Elles aiment partager des contenus, que ce soit en stories ou sous la forme de mêmes et de vidéos courtes et interagissent beaucoup avec les créateurs de contenus (influenceurs). Pour les marques, il est primordial de rester authentique et même de ne pas hésiter à se confier et à se dévoiler dans une logique “behind the scene”. Il y a aussi un effort à faire quant à l’expérience client proposée, qui doit être le plus unique possible et servir l'individualité (ou l’égo). Les nouvelles technologies permettent cela, au travers d'expériences shopping immersives ou de live stream. De plus, il est important de suivre les tendances, et même potentiellement d’en créer de nouvelles : les collections en édition limitée ou encore les collaborations rencontrent donc un réel succès auprès de cette audience", poursuit-elle.
Enfin, l’engagement durable résonnera aussi bien auprès de la Gen X que de la Gen Z : sourcing, processus de production, ou encore responsabilité sociale sont autant de sujets qui trouvent écho chez ces deux audiences. "En conclusion, la Gen X concentre les achats actuels et nourrit la fidélité à la marque tandis que la Gen Z représente une opportunité de croissance future et ouvre de nouvelles formes d’engagement", explique Morin Oluwole.
4. Qui sont les VIC ou "Modern Affluent Consumer" ?
Autour ensuite de Meryam Schneider, CMO d’Altiant de partager quelques chiffres issus du tracker propriétaire "GLAM" - pour "Global Luxury and Asset Management" - qui suit les préférences et envies et de la population aisée et influente.
Ainsi, malgré le contexte, 25 % des interviewés prévoient des changements importants sur leur portefeuille d'investissement dans les trois prochains mois, un signe de stabilité renforcé par le fait qu’¼ disent vouloir investir, augmenter leurs investissements verts en 2024 et 21 % qu’ils feront plus de dons caritatifs cette année. Les investissements se poursuivront donc cette année, mais avec sens, que ce soit en faveur d’un engagement durable ou sociétal.
"Il est important aussi de noter que nombre de fortunés ont revu leur priorité et souhaite ralentir : slow travel, santé et bien-être perçus comme le luxe ultime", souligne Meryam Schneider.
Concernant des achats plus "responsables", 46 % des personnes interrogées sont prêtes à soutenir la durabilité et à dépenser plus de 10 % de plus pour des produits ou des services qui ont été conçus de manière éthique et durable mais 28 % ne sont, à l’inverse, pas prêts à payer davantage… "Parmi les marques de luxe citées comme un exemple de durabilité sont citées : Stella, McCartney, Louis Vuitton, Gucci, ou encore Tesla mais aussi des marques comme Patagonia. Il y a cependant une certaines méfiance quant à certaines allégations écologiques de la part des Maisons de Luxe…", poursuit la CMO d’Altiant.
Enfin, cette audience est assez sensible quant à la confidentialité de leurs données personnelles : 67 % sont préoccupés par le partage de leurs informations personnelles avec les entreprises, tandis que 49 % des millionnaires et multimillionnaires nous disent avoir effacé leur historique de navigation et avoir supprimé les cookies marketing de leurs appareils (mobile et desktop).
5. Le Luxe : une quête de sens éternelle ?
Ariel Wizman, co-fondateur de Miniso France, nous a tous ensuite ébahi face à un merveilleux exercice d’éloquence autour de la quête de sens du Luxe : "le luxe étant par excellence ce qui est superflu, il figure rarement sur une liste de courses, encore moins sur une ordonnance. En fait, il est tout sauf vital. Il est souvent éblouissant, de préférence ruineux", commence celui-ci.
Les Maisons de Luxe entament alors un retour à des valeurs fondatrices qui sont marqueuse d'exigence et d'excellence et s'appuient sur des métiers d'art témoins d'un patrimoine artisanal d'autant plus précieux qu'il se fait rare, au point que certains représentants ultimes d'un artisanat en voie de disparition d'extinction se voient un jour, à leur grande surprise, élevés au rang de trésors nationaux… "Ainsi le luxe s'extasie-t-il de plus en plus, et légitimement, sur l'ultime Plumassier, la dernière dentellière ou toute créature hier remisée dans des faubourgs et qui se voit tout d'un coup investie de l'héroïsme des survivants", poursuit-il. Un héroïsme certain lorsqu'on est seul face à la redoutable mission de devoir faire survivre un artisanat et que l’on est l'ultime témoin du savoir-faire d’une Maison.
"En parallèle, nous observons un Luxe qui consiste à faire payer très cher des tagliatelles dans certains restaurants italiens et qui fonctionne volontiers sur l’imaginaire et cette figure de la grand-mère qui foudroie du regard quiconque dépasse le temps de cuisson imparti pour les spaghettis… Le Luxe devient alors identitaire", évoque, comme second prisme de cette quête de sens, Ariel Wizman.
Troisième champ d’action initié par les Maisons de Luxe : "une exploration du futur, un appel à une néo humanité, une transhumanité, un lâcher prise dans un métaverse devenu réel que ne peuvent se payer qu'une frange aventureuse et nantie… Un Luxe qui refuse le statu quo et se transforme en “luxe mutant”", poursuit-il.
L’achat n’est alors plus une histoire de prix : "Le prix en est affolant. On tend sa carte sans regarder, en ayant surtout l'air naturel. Et en général, la réponse à la question du sens de cette dépense est considérée comme indécente et hors de propos, ce qui clôt la discussion". On trouve dans cette catégorie des montres, de la mode, et parfois même des croissants et des bûches de Noël de formes abstraites.
Enfin, conclut le co-fondateur de Miniso France : "Il faut juste reconnaître au luxe une vertu simple et qui résume un peu toutes les autres : il est une qualité qui donne de la qualité. Et ça, ça donne du sens".
6. Quel rôle de l’intelligence artificielle dans le Brand Management ?
Il existe aujourd’hui, pour chaque marque, une multitude d’informations et de conversations, notamment sur le digital, que l’intelligence humaine ne peut plus analyser dans des temps corrects. Arnaud Roy, Chief Strategy Officer chez Launchmetrics, présente une approche combinant IA discriminative et IA générative permettant de faire émerger des insights opérationnels et utiles à la construction des stratégies de positionnement ou encore de communication des marques.
Pour illustrer cette démarche qui associe Topic Modeling et IA générative, il prend l’exemple du secteur de la beauté et de l'identification de "Macro Trends". "Cette approche a permis d'identifier que la Beauté n'est pas un sujet uniquement fonctionnel, mais est aussi liée à des émotions et des expériences sensorielles. Différents prismes interviennent : l’innovation, la RSE… ce qui va guider les marques sur quels sujets se positionner, auprès de quelle cible et au travers de quel mix media. On observe par exemple que le sujet de l’innovation skincare est clé en France et aux États-Unis mais n’arrive qu’en 3e position des préoccupations au UK. Autre observation, les assets qui génèrent le plus de conversations autour du skincare sont notamment, l'hydratation, la naturalité, et les aspects anti-âge et réparation".
Ainsi, les discussions qui interviennent sur la presse papier ou la presse online et les réseaux sociaux sont parfois différentes, ce qui peut aider également la marque à se positionner sur les bons sujets au bon endroit.