FUTUR & LUXE Data & Supply Chain : le résumé
Publié le par Barbara Haddad
Face à secteur du Luxe en crise, c’est l’ensemble de la chaîne de valeur qui doit être revue : du sourcing, à la production jusqu’au modèle de distribution et ce, à l’échelle internationale. Le dernier live Futur & Luxe 2024 qui s’est tenu en décembre dernier sur Linkedin avait donc pour thème "Data & Supply Chain". Il a été organisé en collaboration avec Centric Software, éditeur de logiciel, connu notamment pour sa solution de PLM (Product Lifecycle Management). Résumé.
Luxe : vers la Quiet Tech !
À l’instar du Quiet Luxury, la Quiet Tech prend de l’ampleur dans le monde du Luxe, et notamment au sein du Groupe LVMH. "Si nos Maisons adoptent au fil du temps les technologies les plus sophistiquées, elles n’ont pour autant pas vocation à se transformer en sociétés expertes en technologie. L’innovation doit rester au service de l’expérience exceptionnelle proposée à nos clients et intervenir de façon agile et discrète pour soutenir l’ensemble de nos métiers (création, production, distribution)", affirme Franck Le Moal, Chief Information Officer pour le Groupe LVMH.
Les Maisons de Luxe restent, avant tout, des entreprises de l’artisanat, de la transmission, du savoir-faire, même si elles sont, pour beaucoup, désormais augmentées par les innovations technologiques dont récemment, l’IA et l’IA générative. Cela permet, entre autres, un gain de productivité et une optimisation de l’ensemble de la chaîne logistique : "La supply chain représente la colonne vertébrale du Luxe, que ce soit lors des achats des matières premières ou ensuite, dans les étapes de réception des marchandises, de confection puis de livraison en boutiques et jusqu’aux clients. Les avancées technologiques permettent par exemple de mieux dimensionner les stocks, de mieux piloter les assortiments … le tout pour mieux cibler les attentes clients", poursuit celui-ci.
De plus, la tendance n’est plus tant à une technologie exubérante, se traduisant par une multitude d’écrans et d’avatars digitaux en magasin, mais plutôt à l’intégration discrète de services à haute valeur ajoutée, visant en particulier l’hyper-personnalisation de l’expérience client. Cela se traduit notamment par le fait d’équiper les conseillers d’un smartphone, grâce auquel ils peuvent accéder rapidement à l’historique des achats et des échanges pour un client et ensuite lui apporter des recommandations et un traitement personnalisé.
À noter également que l’utilisation de la blockchain et par exemple d’Aura, consortium fondé par plusieurs grands groupes et Maisons de Luxe (LVMH, Prada, Cartier …) a pour vocation à démocratiser l’utilisation du passeport digital pour chaque objet de valeur et ainsi en garantir la traçabilité et l’authenticité. "Aura rassemble désormais plus de 40 marques et plus de 50 millions de produits", rappelle le CIO. Enfin, celui-ci partage trois grandes tendances qui marqueront 2025 :
- La maîtrise absolument nécessaire de la data et de l’IA,
- La prise en compte des contraintes et opportunités environnementales (enjeux ESG, circularité, bilan carbone …)
- Et l’adoption d’une plus grande transparence dans les processus de création et de fabrication.
Comment optimiser sa stratégie offre et assortiment ?
Pour Florian Chapron, Responsable Commercial France chez Centric Software, la data et les insights peuvent servir de plusieurs manières la chaîne de valeur produit :
- L’adoption d’une solution automatisée de veille concurrentielle permet d’analyser en temps réel la concurrence pour ajuster sa propre stratégie et identifier les tendances du moment : produits les plus recherchés sur internet, recherches avec la plus grosse croissance ou décroissance … La création de boards digitaux permet ensuite de construire plus facilement ses assortiments par région, par groupes de magasins …
- L’utilisation de la data pour optimiser l’allocation et le replenishment (réapprovisionnement) : l’IA et le machine learning présents dans les solutions de planning de Centric Software permettent de capitaliser sur l’historique des ventes pour prédire l’avenir. Des algorithmes sont mis en place pour faire des propositions et aider l’utilisateur dans la prise de décision. Il est possible d’ajuster les assortiments selon les performances et de réallouer des stocks entre les magasins (inutile de garder des pièces qui ne se vendent pas sur une boutique alors que ces mêmes références sont en rupture dans une autre).
- Enfin, l’IA de Centric Pricing permet une meilleure gestion du cycle de vie prix/ discount (pour les marques de mode grand public notamment) : définition automatique du niveau de remise et à quel moment le proposer pour atteindre ses objectifs de vente (modélisation prédictive des courbes de ventes selon les ventes historiques et les ventes actuelles).
"De plus, il faut absolument intégrer les fournisseurs dans vos outils. C’est ce qui va permettre de compléter les informations sur une matière, un échantillon, un prototype … Dans un PLM on peut saisir et conserver toutes les informations produits (BOM, composition, fournisseurs, attributs de traçabilité, certificats etc…) et, pour faciliter cette remontée d’informations fournisseurs, Centric Software vient de développer un connecteur avec la solution Fairly Made, logiciel de traçabilité et de mesure d’impact", conclut le responsable commercial.
Mieux tracer et mesurer les étapes de production !
"Le secteur de la mode et du luxe est en train d’évoluer, tant du côté des attentes consommateurs qui s’accélèrent pour plus de transparence quant à la provenance, la composition et les modes de production des biens consommés ; que du côté des marques, avec depuis 2018, l’inscription de la RSE dans leurs notes stratégiques", constate Camille Le Gal, cofondatrice de Fairly Made. En parallèle, la France détient une posture pionnière sur ces sujets (devoir de vigilance, AGEC, Loi Climat et Résilience …) ainsi que l’Europe (PEF, Digital Product Passeport).
"Dans ce contexte, Fairly Made, fondée en 2018, se positionne comme une entreprise à mission, dont l’ambition est d’améliorer les impacts sociaux et environnementaux de l'industrie. Elle propose nativement 3 modules aux marques : Traceability, Impact Measurement & EcoDesign, Communication et un nouveau module d’Eco-design", poursuit la fondatrice.
Elle partage ensuite quatre conseils pour améliorer ses processus de traçabilité et de mesure d’impact :
- Continuer de travailler sur la consistance de la donnée et les taxonomies.
- Faire travailler en interne les logiciels ensemble pour assurer une bonne interopérabilité.
- Embarquer les équipes de façon transverse pour uniformiser les niveaux de connaissances et valoriser les use cases.
- Choisir des partenaires qui partagent les mêmes valeurs que ses équipes pour maximiser les impacts positifs.
The Kooples : comment la marque se structure d’un point de vue logistique ?
The Kooples est une marque de mode et accessoires dite "premium" ou "Luxe accessible" : "Nous sommes nés il y a 15 ans et avons été rachetés en 2019 par le groupe Suisse MF Brands. The Kooples est une marque qui se positionne sur la culture rock et le savoir-faire tailoring", rappelle Anne Sirot, directrice logistique et transport.
La marque a développé son activité à l’international et, pour la partie production, fonctionne sur un modèle mono-sourcing : une référence n’est produite que chez un seul fournisseur (que les équipes sélectionnent en fonction de son expertise produit). "Nous avons ainsi une partie de notre production en Asie pour nos produits en soie, le reste est produit en Europe et dans le bassin méditerranéen", confie celle-ci.
Concernant la partie Distribution, la marque livre principalement en Europe et en Amérique du Nord et est en train de développer l’Amérique du Sud. "Nous distribuons aussi bien dans nos réseaux Retail que via des partenaires wholesale tels que Zalando. Et au milieu de tout ça, nous avons notre entrepôt central en France qui est internalisé et qui a pour mission de réceptionner les produits provenant de nos fournisseurs, pour les livrer ensuite chez nos clients (e-commerce, boutiques, wholesale, marketplace)", poursuit Anne Sirot.
Quelle stratégie est alors adoptée pour optimiser l’activité logistique et transport ? "Nous essayons au maximum de travailler en flux tendu sur nos stocks, ce qui nous challenge sur nos flux transport et logistique car nous devons nous assurer d’une circulation fluide et maîtrisée de nos flux physiques de produits, du fournisseur jusqu’au client. Cela nécessite un gros travail sur la planification de notre activité logistique via une modélisation de nos flux grâce aux carnets de commandes fournisseurs et des commandes clients. Cela nous permet de planifier à 3, 6 et 12 mois nos activités. Et sur cette planification, nous devons rajouter des simulations d'événements extérieurs qui pourraient influencer la fluidité de nos flux, comme le Nouvel An chinois, une grève dans transports … et anticiper des solutions de contournement", détaille la Directrice Logistique et Transport.
Trois KPI majeurs sont principalement suivis :
- Le % de commandes clients B2B livrées dans les temps.
- Le quota d’utilisation de l’aérien vs la route, le maritime et le rail.
- Le taux de saturation de l’entrepôt central.
Enfin, de plus en plus de régulations d'entrée des marchandises émergent au niveau des douanes : certaines sont liées au contexte géopolitique (comme par exemple pour les USA et leur lutte contre le travail forcé en Chine ou les embargos mis en place par l’Union Européenne lors de la guerre en Ukraine) et d’autres sont plus liées à une protection de l’environnement comme le règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts de l’Union Européenne. "Ces régulations nous obligent à collecter de plus en plus de data auprès de nos fournisseurs de niveau 1, mais aussi de leurs propres fournisseurs de matières premières. Cela prend énormément de temps, mais cela pose aussi la question du degré de confiance accordé à nos fournisseurs", conclut Anne Sirot.
Supply Chain : 5 grands sujets pour 2025 !
Yann de Feraudy, président de France Supply Chain, partage ensuite une vision globale des grands enjeux qui touchent actuellement la supply chain :
- La double résilience : à la fois très opérationnelle (gestion d’évènements climatiques comme l’arrivée de la neige ou une tempête, dépannage d’un camion en panne, …) et celle, plus stratégique, sur le long terme : comment faire face à un monde qui se réchauffe, mais aussi aux nombreux conflits géopolitiques ? Où relocaliser mes usines ? etc.
- La durabilité : changement du mix énergétique, transition vers une supply chain plus verte …
- La technologie : quelle place lui accorder, comment l’intégrer aux processus existants pour maximiser la performance de l’activité, mais aussi comment faire face aux nouveaux risques tels que les cyberattaques ?
- Une vision complète de la chaîne de production : plus de transparence, plus de traçabilité.
- La guerre des talents et des ressources : "Tous ces nouveaux process nécessitent des gens bien formés : des profils difficiles à recruter", observe Yann de Feraudy.
"On observe également que tous ces sujets sont fondamentalement imbriqués, ce qui nécessite d’avancer simultanément sur ces évolutions. Quant à l’IA et l’IA générative, elles sont désormais intégrées dans de nombreux champs d’action : social listening, prédiction des risques (de grève par exemple), passeport numérique, etc.", conclut celui-ci.
41Watch : les secrets d’une logistique bien rodée.
Cyril Derveloy, fondateur de 41Watch, a partagé, quant à lui, durant ce live, certains aspects de l’organisation logistique de la marque : "Nous vendons des montres neuves, modernes d’occasion et de collection. Notre sourcing est donc particulier, puisqu’il est protéiforme : auprès de professionnels retailers, de brokers et de particuliers. Quant à notre modèle de vente, il est également hybride : en magasin et en ligne".
Parmi les grands enjeux logistiques rencontrés, il y a celui de nourrir de façon homogène l’offre en boutique (besoin de vitrine) et l’offre en ligne ainsi que les différents segments de façon harmonieuse. Quelle est la clé pour trouver l’équilibre ? "Il est nécessaire de s’appuyer sur une expertise de plusieurs années, car une grande part des arbitrages se fait de façon non automatisée", affirme Cyril Derveloy.
Autre sujet important, celui de la livraison, puisqu’il faut livrer des objets de grande valeur, ce qui nécessite des modalités de transport particulières. "Concernant le transport, nous sommes très attentifs au suivi des réglementations et aux taxes qui évoluent dans le temps et diffèrent selon la fiscalité de chaque pays", précise celui-ci.
Enfin, la question de l’authenticité est primordiale : "Notamment lorsqu’on rachète une montre à un particulier. C’est pourquoi nous avons développé une expertise en interne mais que nous nous adossons aussi à des partenaires de confiance", conclut le fondateur.
24S : les challenges d’un pure-player en matière de supply chain !
24Sest la plateforme e-commerce mode et luxe du groupe LVMH depuis 2017 et livre dans plus de 100 pays, au travers son site web et son appli iOS disponibles en 6 langues. En tant que plateforme e-commerce multimarques luxe, 24S doit répondre à la fois aux exigences du monde du luxe et à la complexité rencontrée par les distributeurs. "L’expérience client doit donc être irréprochable tout au long du funnel d’achat et après la vente. En tant que pure player luxe, notre mission est d'offrir une expérience digitale digne des plus belles boutiques parisiennes et d’être ainsi la référence e-commerce du style parisien", explique Aïda Faivre, la directrice des opérations de 24S.
Parmi les principaux challenges rencontrés, il y a :
- Avoir un niveau de coordination et de fluidité vis-à-vis des marques partenaires pour co-construire un socle commun de standards et de process.
- Fluidifier et automatiser au maximum les opérations supply chain notamment au niveau de la réception des produits pour que les produits soient disponibles en ligne le plus rapidement possible. "C’est un travail tripartite entre les équipes supply chain, e-merchandising qui s’occupent de recueillir les informations concernant le produit mais aussi de les enrichir (comme par exemple ajouter les bons visuels, traduire en 6 langues etc..) et évidemment les marques partenaires", précise Aïda Faivre.
- Maintenir un très haut niveau de qualité tout au long de la chaîne logistique : "De l’intégration en stock des produits (via notamment des process de contrôle qualité drastiques et partagés avec les marques partenaires) au stockage des produits et enfin à l’expédition, avec par exemple la possibilité de choisir son packaging et d’ajouter des messages personnalisés et enfin à la livraison, qui peut-être express en 48h", poursuit-elle.
Quels ont été les enjeux en termes de data ? "Il y a quelques années, il s’agissait de consolider plusieurs sources de données internes pour, par exemple, donner un stock en temps réel au client. Aujourd’hui, l’enjeu concerne davantage la qualité de la donnée et son enrichissement. Je pense aux informations produits pour donner un maximum d’indications aux clients (visuels, descriptif, aide à choisir la bonne taille … )", observe Aïda Faivre. D’autre part, l’intégration de données et insights clients doit servir à construire une relation unique : connaissance des achats mais aussi des préférences et habitudes pour chaque fin, afin de proposer le bon produit à la bonne personne et au bon moment.
Enfin, "La gestion de nos flux et de nos stocks est un sujet clé, pour tendre vers un pilotage le plus fin possible : de l’âge du stock et du cycle de vie du produit à une bonne connaissance des attentes clients pour anticiper les bonnes tendances et opérations commerciales", conclut la directrice des opérations.