Inflation : le luxe peut-il continuer à tirer son épingle du jeu?

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Conséquence de la crise sanitaire, les tensions sur l’approvisionnement, associées à une demande dynamique se sont traduits par une hausse des matières premières. Il n’en fallait pas plus pour que l’inflation signe son grand retour, 5,5% selon l’INSEE, un niveau qui n’avait pas été atteint en France depuis 1985. Dans ce climat d’incertitude économique globale, un secteur fait figure de résistant : le luxe. Pour quelles raisons? Quelle(s) stratégie(s) doivent adopter les maisons de luxe pour accompagner la crise ?

Après une année 2021 éclatante sur les marchés, avec des valorisations boursières atteignant des sommets, 2022 semble vouloir freiner les ardeurs du luxe. En effet, il suffit d’observer de plus près la cotation des acteurs phares (Aston Martin -70%, Ferrari -15%, Hermès -17%, LVMH -12%, Kering -29%) pour voir se dessiner à l’horizon une tendance baissière. "Les investisseurs craignent les évolutions à venir en Chine et ses effets potentiels sur ce qui représente le premier marché des maisons de luxe. D’une part, en raison de la politique zéro Covid que le président Xi Jinping compte poursuivre s’il est réélu, et d’autre part, sur les conséquences d’un marché immobilier en grande difficulté, avec des ménages très endettés. Autant d’éléments qui pourraient tirer à la baisse la croissance chinoise, et impacter indirectement les résultats du luxe" explique Éric-Olivier Lewin, spécialiste des marchés financiers et rédacteur en chef des publications Agora. Du côté des deux autres marchés que sont les États-Unis et l’Europe, les perspectives ne sont pas forcément plus enthousiastes. Le premier s’inscrit dans une tendance inflationniste, tandis qu’en Europe, le risque de récession fait craindre le pire.

Pour autant, le luxe apparaît comme étant le secteur le plus préservé de l’économie, et ce pour plusieurs raisons. Comme l’explique Bénédicte Épinay, Présidente et CEO du Comité Colbert : "Le luxe est moins sensible au prix que le mass market. Depuis plusieurs mois, un certain nombre de maisons ont augmenté leurs prix en réponse à la hausse du coût des matières premières, sans que cela n’ait d’impact sur les ventes. La sensibilité au prix ne fonctionne pas dans ce secteur. La question est jusqu’à quand ?".

On le sait, le luxe s’adresse à des populations qui sont peu ou faiblement concernées par les questions de pouvoir d’achat ou d’arbitrage sur les choix d’investissement. S’ajoute à cela que le niveau des prix pratiqués adoucit les augmentations. "Il est évident que sur un sac à 8 000€, une augmentation de 4% à 7% sera moins visible que cela ne l’est pour un bien de première nécessité comme une baguette de pain. L’impact de l’inflation est moins brutal sur des produits à forte valeur d’investissement et à durée de vie longue" renchérit Stéphane Truchi, CEO du groupe IFOP. Si le luxe a la chance d’avoir une classe sociale assez stable dans sa consommation, et de pouvoir compter sur le dynamisme du marché américain, et dans une moindre mesure de l’Europe, pour atténuer le ralentissement chinois, la gestion des prochains mois risque de lui donner du fil à retordre. En premier lieu, les grandes maisons pourront-elles continuer à répercuter de façon automatique la hausse des prix des matières premières? "Le prix nécessite un savant dosage entre le fait de maintenir une certaine rareté, condition sine qua none au désir, sans pour autant apparaître en décalage de sa clientèle, au risque de déconstruire la valeur de la marque" prévient Stéphane Truchi. Preuve que le luxe suit de près cette thématique? Lors de la publication des résultats du groupe en juillet, LVMH a indiqué par le biais de son directeur financier, qu’il "n’envisageait pas dans l’immédiat de nouvelles hausses de prix".

Du point de vue des consommateurs, Stéphane Truchi table pour les prochains mois sur une stabilité de la demande en raison de l’attrait des jeunes, mais aussi des classes moyennes pour le luxe.

Dans toutes les crises, le luxe apparaît comme une valeur refuge dans lequel le client vient aussi chercher des éléments de compensation, comme des shoots d'optimisme qui permet de tenir sur la durée.

Stéphane Truchi, CEO de l'IFOP.

Tout l’enjeu va résider, pour les maisons de luxe, dans leur capacité à adapter leur posture durant cette crise afin de la traverser sans encombre. En frappant de plein fouet des questions liées au pouvoir d’achat, l’inflation rebat les cartes de la communication. "Il s’agit de trouver la bonne posture. On risque de voir au fil des mois les marques se faire plus discrètes dans leur affichage sur leur logo, pour revenir davantage à leurs icônes, des produits d’investissement qui explosent en temps de crise". Séduire sans s’attirer les foudres, ou comment avancer sur le fil du rasoir... "N’oublions pas que le luxe a devant lui un formidable relais de croissance avec le Web.3. Il suffit de regarder des maisons comme Tiffany, qui a créé le buzz dernièrement avec ses pendentifs détenteurs de NFT CryptoPunks ou encore Gucci, qui accepte les paiements par bitcoin dans tout son réseau" conclut Éric-Olivier Lewin. Un formidable levier pour s’attirer de nouveaux clients tout en faisant fonctionner à plein régime les ressorts de la désirabilité. Bien vu.

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