Vincent Grégoire, Nelly Rodi.

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« Le loud luxury c’est une réaction épidermique à trop de bien-pensance, trop de sobriété. » Vincent Grégoire, Nelly Rodi.

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Quelles sont les grandes tendances qui vont influencer le monde du luxe en 2024 ? Comment les nouvelles générations vont-elles consommer ? Vincent Grégoire, Directeur Consumer Trends & Insights pour l’agence de conseil en stratégie business Nelly Rodi, livre son analyse lors d'une interview exclusive menée par Eric Briones.

Journal du Luxe

"React" est, semble-t-il, le grand thème de l’année 2024. Pouvez-vous nous expliquer le concept et sa force ?

Vincent Grégoire

2020 était l’année de la résistance, 2021 celle de la résilience, 2022 celle de la renaissance, 2023 l’année du reset. En 2024, on va être dans la réaction et l’action. Sous ce chapeau général, on distingue quatre typologies de clientèle, quatre postures de réaction : il y a ceux qui vont prôner l'apaisement. Ils vont réagir en se disant que tout est fracturé et qu’il faut réparer, réconcilier, recréer du lien, redonner du sens et apaiser les tensions. Ils vont réagir aussi par la diplomatie, par le dialogue et par la pédagogie.

Il y a ceux qui vont éviter de regarder la réalité en face et, au contraire, prôner l’admiration. Cette clientèle préfère s’orienter vers du théâtral, de l'illusion, du virtuel, des nouvelles technologies. Le but est d’aller vers des nouvelles réalités, des réalités augmentées, qui fonctionnent comme des échappatoires.

La troisième posture qu'on a observé et qui est en train de monter en puissance, c’est cette façon de réagir par l'alternatif : prôner des valeurs inclusives, des valeurs de responsabilité, d'éthique et d'engagement, mais sur un mode alternatif et festif. L’idée est que l’on peut changer la société par le jeu, par le déguisement. Ici, ce sont des valeurs d'expression et de raison qui sont mises en avant.

Enfin la dernière posture est l’activation : ces consommateurs veulent promouvoir des solutions. Ils mettent en avant le régénératif. Leurs valeurs sont la raison et la tradition.

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Comment le luxe s’inscrit-il dans cette ligne de force qu’est le "react" ? Est-il en adéquation ou bien va-t-il falloir qu’il s’adapte ?

Vincent Grégoire

On va observer, sur chacune de ces quatre postures, une interprétation que va en faire le luxe.
Pour la première posture, c’est un luxe plus apaisé, plus éthique, plus éduqué, plus sélectif. Un luxe plus intime, plus discret, plus modeste, moins bling. La marque Icicle est un bon exemple de ce type de positionnement.

Pour la seconde posture, c’est un luxe plus théâtral, plus entertainment, plus spectaculaire. Un luxe qui va utiliser l'intelligence artificielle, explorer de nouveaux horizons, de nouveaux territoires. Un nouveau glow qui va concerner aussi bien des clientèles populaires que des clientèles "nouveaux riches". Ce sont des marques comme Jacquemus ou Viktor & Rolf.

Dans l’optique de la troisième posture, on a un luxe plus politique, plus social, plus engagé, plus militant, plus activiste et plus responsable. Un luxe plus festif mais avec une espèce de flamboyance engagée. Ici, ce sont plutôt des marques alternatives, comme Carne Bollente ou Kevin Germanier.

Il y a enfin un luxe porteur de sens, de solutions, qui est moins sur la vanité, moins sur l'exclusion et plus sur l'inclusion. Un luxe qui va aller chercher des nouveaux matériaux pour que les gens soient bien dans leur tête, bien dans leur corps, bien dans leur genre. On pense ici à Stone island ou encore à Coperni.

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Et comment s'en sortent les très grandes maisons comme Dior ou Chanel ? Ont-elles, elles aussi, plongé dans le "react" ?

Vincent Grégoire

Il y a deux types de réactions parmi les grandes maisons de luxe : soit elles se précisent sur un créneau comme le fait Prada par exemple avec les nouvelles technologies. Soit elles deviennent un peu opportunistes, elles picorent, pour être dans l’air du temps. Dior Femme, par exemple, mélange de l'alternatif avec de la séduction et du savoir-faire. Celine se situe davantage dans l'apaisement. L'idée est de rassurer avec des collections portées sur l’iconique et le cliché. C'est un luxe qui rassure et qui tempère.
Pharrell Williams chez Louis Vuitton prône des valeurs d'inclusivité, avec des messages gentiment politiques. Il fait défiler des personnalités extrêmement différentes en termes de morphologies, de en couleur de peau, d’âge et de notoriété.

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Parlez-nous du "loud luxury".

Vincent Grégoire

C'est une réaction épidermique à trop de bourgeoisisme, trop de bien-pensance, trop de sobriété : le quiet luxury vire au boring luxury. Certains essayent de prôner la sobriété heureuse, responsable et green mais nous sommes dans une société de consommation, et les consommateurs ont du mal avec un produit pour la vie. Il y a une volonté de la part de certains clients et de certains leaders d'opinion de faire bouger les lignes, de remettre du trash.

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Qui est la génération Pixel ? Est-ce qu’elle rentre dans ce positionnement "react" ?

Vincent Grégoire

La génération Pixel réunit les millennials, la genZ et les Alpha. Leur dénominateur commun, c'est la maîtrise des outils technologiques car ils sont nés avec. On est passé du pigment au pixel : ils ne voient plus le monde qu'au travers de fenêtres rétro éclairées. Quand ils vont dans les magasins, ils sont attirés par des produits synthétiques parce que ces produits prennent bien la couleur, ce sont des matières qui sont enrichies en lumière.

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Peut-on dire qu’une nouvelle esthétique est née du fait de la sur-utilisation des écrans ?

Vincent Grégoire

Oui tout à fait. Une esthétique enrichie en lumière. La génération Pixel craque sur des people qui renvoient la lumière plutôt que ceux qui prennent bien la lumière, comme des Lena Mahfouf.

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Le naturel est-il toujours apprécié par ces générations ou bien devient-il finalement hors-sujet ?

Vincent Grégoire

Ils ont un rapport plus évident au surnaturel, le naturel est plus considéré comme "ennuyeux". Leurs marques de références vont être Shein, Temu, des marques de l'ultra fast fashion. Mais aussi des équipementiers sportifs et également un peu de Jacquemus pour son côté décalé et fantastique.

Pour approfondir le sujet, rendez-vous ce jeudi 14 décembre pour l'édition du Journal du Luxe Intelligence spécial tendances 2024.

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